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La Marquis de Loc-Ronan

La Marquis de Loc-Ronan

Titel: La Marquis de Loc-Ronan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ernest Capendu
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vêtement où se trouvait la garniture de boutons.
    – Veux-tu lâcher, Bertrand ! hurlait l’un des combattants, en tirant à lui le restant de l’habit que son compagnon venait de saisir.
    – Non ! je ne lâcherai pas ! répondait l’autre sans lâcher prise, et en se cramponnant des deux mains au fragment qu’il serrait de toutes ses forces.
    – Ah ! tu ne veux pas lâcher ?
    – Non !
    – Dis-le voir encore ?
    – Non ! non ! non ! Entends-tu, grand imbécile ?
    – Tiens !…
    Ici, Bertrand reçut un coup de poing qui fit jaillir le sang de son nez, lequel enfla subitement et menaça de prendre des proportions gigantesques.
    – Oh ! c’est comme ça ! cria l’enfant en rendant coup pour coup. Je dirai que tu es un aristocrate !
    – Essaie donc un peu !
    – Oui, je te dénoncerai !
    – Je suis un sans-culotte. Chaux est mon cousin !
    – Et Pinard est l’ami de papa !
    – Je te ferai passer sous le rasoir national !
    – Et toi dans la baignoire nationale !
    – Je le dirai au club !
    – Au club ! crièrent les autres enfants qui jusqu’alors étaient demeurés muets spectateurs de la scène. Tu vas au club, toi, Pichet ?
    – Oui, que j’y vas ; à preuve que j’ai été reçu membre de la Société régénérée.
    Bertrand s’arrêta, et le combat cessa momentanément.
    – Vrai ? dit-il avec un accent dans lequel l’admiration succédait rapidement à la colère ; t’es au club pour de vrai !
    – Oui, pour de vrai !
    – Pourquoi donc qu’on t’a reçu ?
    – Ah ! voilà !
    – Raconte-nous ça ! hurla la bande.
    – J’y consens, répondit Pichet en prenant une pose magistrale. Faut que vous sachiez que papa m’a emmené avec lui l’autre soir.
    – Tu nous l’as dit, interrompit Bertrand.
    – Veux-tu me laisser parler, imbécile !
    Et Pichet reprit :
    – V’là qu’un citoyen fait une motion oùsqu’il fallait écrire. Le secrétaire n’y était pas. On demande quelqu’un qui sait écrire. Papa crie en me montrant : Voilà ! Là-dessus je m’en vais au bureau, et j’écris ; et puis quand j’ai fini, comme ça m’amusait de griffonner sur le papier oùsqu’il y a des imprimés en haut, j’ai écrit l’exemple d’écriture qu’on nous a donné la semaine dernière.
    – Oh ! oui, interrompit de nouveau Bertrand ; l’exemple oùsqu’il y avait : « Le monde ne sera heureux que lorsqu’on aura guillotiné quarante millions d’aristocrates et cent millions de modérés ! »
    – C’est ça ! répondit Pichet. Pour lors, v’là un citoyen qui regardait et qui me dit : « C’est joli tout de même ce que tu écris là ! » Et il monte à la tribune, oùsqu’il a fait un discours dans quoi qu’il a dit que les enfants qu’avaient de vrais sentiments patriotiques devaient être reçus au club. Alors on a crié bravo, on a applaudi la motion, et on m’a donné les honneurs de la séance.
    – Qu’est-ce que c’est que ça, les honneurs de la séance ? demanda l’un des jeunes compagnons du narrateur.
    – C’est, dit Pichet, d’être assis tout seul sur un grand tabouret à côté de la tribune.
    – Et t’as eu les honneurs de la séance, toi ?
    – Oui, que je te dis, et si tu ne me crois pas, je te vas flanquer des coups !
    Un murmure d’admiration courut dans les rangs des auditeurs. Il était évident que Pichet avait grandi énormément dans l’estime de ses amis ; aussi se redressant avec satisfaction :
    – Et voilà ! continua-t-il, je suis un pur, un régénéré, un vrai patriote, un sans-culotte épuré, comme dit papa.
    Et l’enfant se mit à chanter à haute voix, comme pour célébrer son triomphe, ce couplet alors des plus à la mode :
    La guillotine là-bas
    Fait toujours merveille !
    Le tranchant ne mollit pas,
    La loi frappe et veille.
    Mais quand viendra-t-elle ici
    Travailler en raccourci ?
    Cette guillotine, ô gué ?
    Cette guillotine.
    Bertrand cependant paraissait ne pas partager l’admiration générale dont son antagoniste était l’objet. Il se mit à rire en se moquant de Pichet qui se promenait les mains derrière le dos, et peut-être la querelle, pour avoir changé d’objet, allait se rallumer non moins vive, lorsque des pas de chevaux retentirent sur la route. Au même instant, le canon résonna vigoureusement du côté de Nantes, et au bruit du canon se mêla celui d’une vive fusillade. Les enfants, dont l’attention se

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