La Marquis de Loc-Ronan
patriote.
En ce moment un vacarme véritablement infernal éclata au premier étage du cabaret. C’était Pinard et ses compagnons qui, furieux de l’inutilité de leurs recherches, brisaient les meubles de maître Nicoud pour passer leur colère impuissante. Des cris, des blasphèmes, des imprécations ignobles retentissaient par les fenêtres enfoncées. Ce bruit subit fit tourner la tête au sans-culotte au pied duquel passait Marcof. Le marin profitant de l’heureux hasard qui le protégeait, s’élança rapidement et atteignit la maison ; là il se blottit et attendit.
La seconde sentinelle, accomplissant sa promenade régulière était à l’extrémité de l’auberge, mais devait passer, en revenant, devant le royaliste accroupi. Marcof avait la main gauche appuyée sur la terre pour être à même de donner plus de puissance à son élan, et sa main droite, armée de la dague corse à la lame triangulaire, rapprochée de la poitrine.
Une minute se passa, minute terrible, pendant la durée de laquelle toutes les facultés du marin se concentrèrent sur un même point, se réunissant pour atteindre un seul but : la mort de celui qui approchait. Enfin, le sans-culotte tourna sur ses sabots et, longeant la maison, atteignit l’endroit où se tenait Marcof.
Les nerfs du marin se détendirent d’un seul coup, comme la corde d’une arbalète, et il s’élança d’un seul bond en lançant dans l’espace un sifflement aigu. La flèche d’un archer ne serait pas arrivée plus rapide que la lame acérée du poignard de Marcof au cou de la sentinelle, qu’elle traversa de part en part. Le sans-culotte, littéralement égorgé, roula sur le sable sans exhaler une seule plainte. À peine Marcof se redressait-il, que Keinec était devant lui.
– C’est fait, dit simplement le jeune homme en montrant son poignard ensanglanté.
– Bien, mon gars ! Maintenant, le plus difficile reste à faire, mais nous le ferons ! Suis-moi ; seulement, si tu te trouves avant moi en face du berger, étends-le d’un coup de poing mais ne frappe pas trop fort ; il ne faut pas l’assommer.
– Je tâcherai.
– Viens.
Et Marcof entra résolument dans l’auberge. Un épouvantable tumulte y régnait du rez-de-chaussée aux combles. Les sans-culottes, ne désespérant pas encore du résultat de leur expédition, en dépit de leurs premières et infructueuses recherches, s’étaient éparpillés dans la maison et la sondaient de la cave au grenier. En arrivant près de l’escalier, Marcof se trouva face à face avec l’un de ceux que Pinard avait laissés dans le couloir donnant accès dans la salle commune.
– Où est Pinard ? demanda-t-il brusquement.
– Il cherche des aristocrates, répondit le patriote nantais qui, en voyant le costume déchiré et ensanglanté du marin, n’eut pas le moindre soupçon et le prit pour un des siens.
– Est-il en haut, en bas, dans la cour ?
– Est-ce que je le sais ?
– Tonnerre ! sais-tu que j’ai un ordre de Carrier à lui remettre, et que cet ordre ne permet aucun retard ?
– Attends, alors, je vais l’appeler.
Et le sans-culotte, enflant la voix, cria à tue-tête :
– Ohé, Pinard ! ohé, Pinard ! on vient te chercher de la part de Carrier !
– Qui cela ? répondit Pinard, dont la voix partit de l’étage supérieur.
– Je n’en sais rien.
– Eh bien, dis que l’on monte !
– Monte ! répéta le sans-culotte.
Marcof passa devant le soldat de la compagnie Marat et, suivi de Keinec, il s’élança sur les marches de l’escalier avec une énergie que décuplait l’imminence du danger. Tous deux eurent soin de baisser la tête afin que Carfor ne pût reconnaître de loin les traits de leur visage, car le digne patriote se penchait sur la rampe pour examiner les nouveaux venus.
Le lieutenant de Carrier était sur le palier du premier étage entouré de trois sans-culottes portant des flambeaux. Marcof, en arrivant au sommet de l’escalier, redressa sa tête menaçante qui se trouva tout à coup éclairée par le jeu des lumières. Carfor poussa un cri.
– Les aristocrates ! les…
Il n’eut pas le temps d’achever. Le marin s’était élancé sur lui. Mais Pinard, se jetant en arrière, se retrancha derrière un sans-culotte. Marcof, frappant dans le vide, fut entraîné par la force du coup qu’il portait. Il trébucha, chancela et tomba sur ses genoux ; un sans-culotte leva son sabre sur lui ; peut-être
Weitere Kostenlose Bücher