La Marquis de Loc-Ronan
combattu ; profite des moindres accidents, de l’épaisseur du brouillard, et ne frappe qu’à coup sûr, car de ce premier coup dépend peut-être notre sort et celui de ceux que nous voulons sauver. Donne-moi la main, et songe à Yvonne !
Les deux hommes s’étreignirent les mains en silence, et se quittèrent pour pénétrer dans la cour. Keinec appuya sur la gauche et Marcof gagna le côté droit, puis les ténèbres les séparèrent.
Ainsi que l’avait supposé Marcof, Pinard avait laissé au dehors deux de ses compagnons avec ordre de veiller attentivement, dans la crainte que ceux qu’il voulait surprendre ne lui échappassent par un moyen qu’il ignorait. L’un des sans-culottes se promenait devant la porte du cabaret et sa silhouette se détachait nettement sur l’intérieur de la maison éclairé par les torches des soldats de la compagnie Marat. L’autre, placé à la hauteur des premiers bosquets, disparaissait au milieu de l’obscurité profonde.
Ces précautions prises, Pinard avait pénétré dans la maison à la tête du reste de ses hommes. Toujours persuadé que Marcof, Boishardy et Keinec n’avaient pas agi seuls, il s’attendait à trouver une résistance sérieuse, aussi n’avançait-il qu’avec une prudence calculée. Laissant la moitié de son monde au pied de l’escalier dans la pièce où se trouvait le comptoir, il fit allumer des torches et des flambeaux qui étaient symétriquement rangés sur une planche voisine, puis il tourna le bouton de la porte donnant dans la salle commune, celle-là même où gisaient dans leur sang Brutus et ses collègues. Aucun être vivant ne se présenta aux yeux étonnés du sans-culotte. Fouillant scrupuleusement la vaste chambre, il s’assura qu’aucune autre issue que celle par laquelle il venait de pénétrer n’avait pu protéger la fuite des royalistes. Repoussant du pied les cadavres qui gênaient leur marche, Pinard et ses subordonnés examinèrent les fenêtres ; toutes étaient fermées en dedans. Le sans-culotte vomit une suite d’énergiques jurons.
– Les gueux nous auront sentis ! s’écria-t-il. Ils se sont sauvés comme des lâches !
Cette supposition, que le silence qui régnait dans l’auberge semblait justifier, fit éclater l’ardeur belliqueuse des sans-culottes que l’approche du danger avait menacé d’éteindre.
– Fouillons la cuisine ! dit un des assistants.
Pinard laissa deux autres hommes dans la salle et gagna la cuisine située du côté opposé. Elle était également déserte et les fenêtres qui donnaient sur le jardin étaient fermées en dedans, comme celles de la salle.
– Ils sont au premier, peut-être ! murmura Pinard. Allons ! explorons la maison tout entière, mais surtout que l’on garde bien la porte d’en bas !
Et, toujours suivi des siens, il gravit les marches de l’escalier. Trois hommes étaient demeurés dans l’étroit couloir sur lequel ouvrait la porte. Ces trois hommes pouvaient facilement communiquer avec les deux sentinelles placées au dehors, bien que la nuit les empêchât de les distinguer. C’était donc, en somme, cinq obstacles vivants qu’allaient avoir à affronter Marcof et Keinec pour pénétrer seulement dans le cabaret.
Ces dispositions venaient d’être établies, et Pinard et ses amis atteignaient le premier étage au moment où les deux royalistes suivaient chacun l’un des côtés de la cour, toujours protégés par le brouillard qui redoublait d’intensité et par les treillages arrondis des bosquets placés sur deux lignes parallèles.
Keinec se glissait avec une précaution infinie, étouffant le bruit de ses pas, le poignard serré dans la main droite et l’œil ardemment fixé en avant. Marcof imitant la même marche, avançait pas à pas, le corps ramassé sur lui-même, les jarrets à demi pliés comme une bête fauve guettant la proie sur laquelle elle va bondir. Le marin se dirigeait vers la maison qu’il voulait atteindre pour s’élancer sur le sans-culotte dont il distinguait la forme malgré l’opacité des ténèbres, éclairée qu’elle était par les lumières brillant dans le corridor.
Bientôt il aperçut l’ombre de la première sentinelle se projetant presque à portée de son bras ; celle-ci, d’après le plan arrêté, appartenait à Keinec, Marcof ne s’en préoccupa donc pas. Se courbant vers la terre, il se coucha doucement et se mit à ramper pour passer sans éveiller l’attention du
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