La Marquis de Loc-Ronan
c’en était-il fait du frère de Philippe de Loc-Ronan, lorsque Keinec, saisissant entre ses mains de fer l’homme qui allait frapper, l’enleva et le jeta par-dessus la rampe de l’escalier. Puis, renversant un second du revers de sa hache, il asséna à Carfor un de ces énergiques coups de poing comme les matelots savent seuls en donner, un coup de poing à assommer un cheval, à renverser une cloison. Pinard le reçut en plein visage. Le sang jaillit du nez, de la bouche et des yeux, et le misérable roula sans connaissance.
Pendant ce temps, Marcof s’était relevé et terrassait le troisième combattant auquel il ouvrait la poitrine d’un coup de poignard. Keinec avait saisi Carfor dans ses bras et le chargeait sur ses épaules.
– Viens ! hâtons-nous ! s’écria Marcof en s’élançant en avant.
Mais le bruit de la lutte, si courte qu’elle eût été, avait donné l’éveil aux autres sans-culottes. Les premières marches de l’escalier et la porte de sortie se trouvaient obstruées par huit ou dix hommes. Marcof brandit sa hache et sauta tête baissée, toujours suivi par le brave gars qui étreignait à l’étouffer le corps inanimé de l’ancien berger de Penmarckh. Les sans-culottes les reçurent la baïonnette et la pique en avant, appelant à leur aide leurs autres compagnons, qui accoururent de tous côtés. Marcof tomba au milieu d’un cercle pressé d’ennemis menaçants.
XX – BOISHARDY, EN AVANT !
À l’aide d’un moulinet terrible, le marin opéra une première trouée dans la masse, et dégagea le couloir. Les sans-culottes, surpris à l’improviste, n’avaient pas eu le temps de se servir de leurs armes à feu. D’ailleurs l’espace manquait pour manier un fusil, et aucun d’entre ceux qui se trouvaient là n’avait, par bonheur, de pistolets chargés. Cette double circonstance, la dernière surtout, était un puissant auxiliaire.
Marcof avait abattu trois hommes en trois coups de hache donnés avec une rapidité qui tenait du miracle. Les autres reculèrent par un mouvement de terreur assez compréhensible, en face de ce fer sanglant qui les menaçait. Le marin profita du vide laissé devant la porte. Il poussa Keinec devant lui, et, se retournant, il fit face seul aux sans-culottes qui accouraient de toutes parts.
L’endroit dans lequel se passait cette scène était, nous le répétons, un corridor fort peu large, servant jadis de premier vestibule, et dont la porte donnait sur la cour. Une fois Keinec en dehors de la maison, Marcof voulait lui donner le temps d’emporter Pinard, et de gagner sans être inquiété l’endroit où se tenait Boishardy avec les chevaux. Le jeune homme, comprenant l’intention de son chef, s’élança de toute la vitesse de ses jambes en dépit du lourd fardeau qu’il portait sur ses épaules.
Marcof s’opposa donc comme une digue à la fureur des sans-culottes, et, se plaçant sur le seuil de la porte, il se tint terrible et menaçant, sa hache d’une main son poignard de l’autre. Les fenêtres de la salle donnant sur la cour étaient grillées, aucune autre issue ne faisait communiquer la maison avec l’escalier : il fallait donc passer sur le corps du royaliste pour poursuivre celui qui venait d’enlever si audacieusement le lieutenant de Carrier.
Les membres de la compagnie Marat écumaient de rage. Deux défaites successives dans la même soirée portaient à son comble leur frénésie sanguinaire. D’une part, Brutus et ses amis tués, massacrés, et dont les cadavres fumaient encore ; de l’autre, leur chef fait prisonnier au milieu de ses soldats, sous leurs yeux, arraché pour ainsi dire de leurs mains, et en face d’eux un homme, un seul, dont l’arme terrible avait abattu déjà trois de leurs compagnons.
Un même cri de vengeance s’échappa de toutes les poitrines, et tous se précipitèrent pour écraser l’audacieux ennemi ; mais les ignobles assassins, habitués à voir trembler devant eux leurs victimes quotidiennes, ignoraient à quel effrayant adversaire ils allaient s’adresser. Marcof rugissait comme le lion que les tigres viennent attaquer dans son antre. Ses prunelles flamboyaient ; ses lèvres ouvertes se contractaient en laissant à découvert ses dents serrées ; sa physionomie avait revêtu une expression saisissante ; tout son être, enfin, frémissait d’une ardeur sauvage. Marcof, ainsi, était admirable à contempler.
Un délire épouvantable s’était emparé de
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