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La Marquis de Loc-Ronan

La Marquis de Loc-Ronan

Titel: La Marquis de Loc-Ronan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ernest Capendu
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épouvantable ! Tu ne penses qu’à l’argent ! tu n’as plus de poésie !
    – J’aurai de la poésie à mon heure, quand j’aurai les millions.
    – Eh bien, ma belle, encore une fois, sois tranquille, mon plan est fait, et nous ne partagerons rien. Seulement, sois plus aimable que jamais avec Carrier. Sur ce, il est tard, je suis fatigué, cette ignoble société me dégoûte, je quitte la compagnie. On ne respire pas ici, et j’ai besoin d’air. Adieu ! demain je te dirai ce que j’aurai fait, car demain, bien certainement, j’aurai joué la seconde manche de cette partie décisive, et peut-être bien que le soir venu nous fuirons ensemble.
    Les deux complices se pressèrent mystérieusement les mains, et Diégo, se levant de table, repoussa sa chaise et quitta la chambre au milieu des cris, des chants et des vociférations des convives, dont les trois quarts menaçaient de rouler bientôt sous la table. L’Italien traversa le salon et descendit les degrés de l’escalier qui conduisait dans le vestibule. De là il atteignit la cour qu’il allait traverser pour gagner la rue, lorsqu’un tumulte effroyable, partant de l’intérieur du corps-de-garde, l’arrêta brusquement dans sa marche. Il s’avança vivement pour connaître la cause de ce bruit inattendu.
    Ce corps-de-garde, habitation ordinaire des sans-culottes de la compagnie Marat, était une vaste pièce oblongue, meublée, comme le sont toutes celles servant au même usage, d’un énorme poêle, de chaises de paille, de lits de camp et de râteliers pour les fusils ; mais les murailles, peintes à la chaux et noircies par la fumée, rappelaient à profusion la destination particulière qui lui était réservée. L’image du patron sous l’invocation duquel s’était placée la trop fameuse compagnie abondait sur toutes les faces du poste. Ici c’était une peinture grossière représentant l’ami du peuple frappé dans son bain par Charlotte Corday, et accompagnée de cette inscription :
    « NE POUVANT LE CORROMPRE ILS L’ONT ASSASSINÉ. »
    Plus loin, c’était un buste voilé d’un crêpe funèbre et couronné d’immortelles, avec ce couplet tracé sur la muraille :
    Marat, du peuple vengeur,
    De nos droits la ferme colonne,
    De l’égalité défenseur,
    Ta mort a fait couler nos pleurs,
    Des vertus reçois la couronne ;
    Ton temple sera dans nos cœurs !
    Mourir pour la patrie,
    C’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie.
    De l’autre côté de ce couplet, on voyait écrit en lettres énormes :
    Pleure, mais souviens-toi qu’il doit être vengé.
    Ennemis de la patrie, modérez votre joie ;
    Il aura des vengeurs !
    De tous côtés l’œil ne rencontrait que médailles en plâtre et en ivoire, représentant, les unes Marat, les autres Chalier et Lepelletier, avec cet exergue :
    MARTYR DE LA LIBERTÉ !
    Enfin une énorme affiche, qui, quelque temps avant, avait couvert les murs de Paris, cachait presque entièrement un côté de la muraille. Cette affiche était ainsi conçue :
    LEPELLETIER.
    Pour avoir assassiné le brigand, il fut assassiné
    Par un brigand.
    BRUTUS.
    Le vrai défenseur des lois républicaines
    Et l’ennemi juré des rois.
    MARAT.
    Le véritable ami du peuple,
    Fut assassiné par les ennemis du peuple.
    Au-dessus de cette affiche pendait le drapeau national ; au-dessous on lisait ce quatrain :
    Peuple, Marat est mort ; l’amant de la patrie,
    Ton ami, ton soutien, l’espoir de l’affligé,
    Est tombé sous les coups d’une horde flétrie.
    Pleure, mais souviens-toi qu’il doit être vengé !
    Puis ces inscriptions placées et répétées partout :
    « Vive la République ! Vive la Montagne ! Vivent à jamais les sans-culottes ! »
    Et bon nombre d’affiches, d’arrêtés et décrets, de motions, parmi lesquels on distinguait un placard portant cet en-tête :
    « Boussole des patriotes pour les diriger sur la mer du civisme, imitée de Marie-Joseph Chalier, mort à Lyon. »
    C’était une longue liste de ce que Nantes renfermait de gens riches et de cœurs honnêtes, et qui, tous, devaient être envoyés à la guillotine ! Comme on le voit, ce lieu, dont la description est de la plus rigoureuse exactitude, était bien digne de ceux qui l’habitaient.
    Au moment où Diégo y pénétra, un grand tumulte régnait dans le corps-de-garde. Une trentaine de sans-culottes entouraient un malheureux et étaient en train de le pousser dans la rue pour le pendre à

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