La Marquis de Loc-Ronan
débats qui avaient provoqué le vacarme dont le citoyen Fougueray s’était ému en traversant la cour de la maison du proconsul.
Le tumulte était si grand, que personne ne prit garde au délégué du Comité de salut public lorsqu’il pénétra dans le poste ; mais en sa qualité d’envoyé de Paris, Diégo crut de son devoir, afin de mieux jouer le rôle qu’il avait pris, d’intervenir et de demander la cause de cette exécution nocturne, et de ce scandale qui mettait en émoi tous les bons citoyens.
Maître Nicoud le prit tout au moins pour un ange libérateur, et se précipita à ses pieds, laissant une partie de ses vêtements entre les mains de ceux qui le retenaient. Les sans-culottes interrogés expliquèrent rapidement au citoyen délégué les raisons qu’ils avaient pour pendre l’aubergiste. En entendant raconter les événements de la nuit, Diégo pâlit horriblement. Il comprenait qu’un seul homme, à sa connaissance, avait assez d’audace pour tenter un tel coup, et assez de courage pour l’exécuter. Il ne douta pas un seul instant que le royaliste dont on lui parlait ne fût Marcof.
Marcof à Nantes ! Il y avait bien là en effet de quoi faire pâlir l’ancien bandit calabrais. Aussi demeura-t-il tout d’abord pétrifié et anéanti. Mais sa conception si vive lui démontra rapidement qu’il ne fallait pas se laisser entraîner par le découragement.
– Prévenons Carrier, dit-il ; et pendez toujours cet homme ; cela ne peut pas nuire, quoiqu’il soit évident qu’il ne sache rien.
Ces mots n’étaient pas achevés que Nicoud, enlevé de terre, poussé, battu, déchiré, fut jeté au milieu de la rue, puis la lanterne tomba, la corde fut enroulée autour du cou du malheureux, et un hourra retentit dans la foule. Le corps de l’aubergiste se balançait au-dessus de la tête des sans-culottes.
– Cela vous servira d’introduction auprès de Carrier, fit observer tranquillement Fougueray.
En effet, le bruit extérieur avait attiré l’attention du proconsul, et un aide-de-camp en sabots et en épaulettes de laine accourut pour en connaître la cause. Tous les sans-culottes voulurent parler ensemble. Fougueray les interrompit et leur imposa silence.
– Je vais prévenir le citoyen représentant, dit-il. Tenez-vous prêts à recevoir ses ordres.
Comme l’intention qu’exprimait Fougueray satisfaisait les sans-culottes qui, de cette façon, n’allaient plus se trouver en face de la première colère du proconsul, personne n’éleva la voix pour émettre un autre avis. Le citoyen délégué, c’est ainsi qu’on appelait l’Italien, gravit précipitamment le premier étage de l’escalier, et entra dans le salon où nous avons déjà introduit nos lecteurs. Il alla droit à Carrier qui causait devant la cheminée avec Angélique et Hermosa.
– J’ai à te parler, lui dit-il.
– D’affaires ? demanda le proconsul.
– Oui.
– Au diable, alors ! j’ai fermé boutique pour aujourd’hui. À demain matin.
– Non pas !
– Je te répète que je ne t’écouterai pas.
Puis se penchant à l’oreille de Carrier, Fougueray ajouta :
– Les chouans ont pénétré dans Nantes cette nuit même.
Carrier devint blanc comme un linceul. Le misérable lâche frissonna de tous ses membres. Son œil vitreux exprima une terreur invincible.
– Bien vrai ? fit-il d’une voix suppliante, comme s’il eût espéré que Diégo allait se rétracter, après avoir essayé d’une plaisanterie.
– Certes, cela est vrai ! répondit vivement Fougueray.
– Ils ont attaqué la ville ?
– Non.
– Qu’ont-ils fait alors ?
– Ils ont tué plus de vingt hommes de la compagnie Marat ! Mais viens dans ton cabinet, je te dirai tout. Il est urgent de prendre des mesures vigoureuses pour rattraper les brigands, ou, s’ils sont hors de Nantes, les empêcher d’y rentrer. Viens, te dis-je ; nous aviserons.
Carrier, quittant les deux femmes, se laissa entraîner ; Fougueray raconta tout ce qu’il venait d’apprendre.
– Il est impossible qu’un homme ait fait cela ! dit Carrier en entendant son interlocuteur lui faire part des exploits de Marcof.
– Malheureusement, la chose est exacte.
– Impossible ! te dis-je.
– Pourquoi ?
– Il n’y a pas de créature au monde capable de tant de force et de hardiesse.
– Je te certifie pourtant qu’il existe un homme capable de tout cela, et cet homme, je le connais.
– Et c’est
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