La Marquis de Loc-Ronan
dénonciation, ainsi que vous le supposez, que vous avez été arrêté en débarquant sur les côtes de France. C’est encore d’après mes ordres que vous êtes vivant aujourd’hui.
– D’après vos ordres !
– Je le répète, c’est grâce à moi que vous vivez.
– Je n’accepte pas l’existence à ce prix.
– Ne jurez pas avant de m’avoir entendu. Six jours après votre incarcération, votre geôlier vous apporta vos provisions de pain et de riz comme à l’ordinaire. En rompant ce pain, n’y avez-vous pas trouvé un billet ?
– Si fait.
– Que vous disait ce billet ?
– Il me recommandait de ne pas répondre dans le cas où mon nom serait appelé ; il me recommandait cela au nom de mon amour pour Julie, et il était signé : « un ami inconnu. »
– C’est bien cela.
– Ainsi vous en aviez connaissance ?
– Il avait été dicté par moi et enfermé sous mes yeux dans le pain qui vous était destiné.
– Et vous ne m’avez donné cet avertissement salutaire que pour être toujours à même de torturer mon cœur, n’est-ce pas ?
– Je vous ai donné cet avis pour vous préserver de la mort et ne pas ruiner mes projets. Je suis franc, vous le voyez. Bref, arrivons au fait, maintenant que vous connaissez les principaux détails. Il me faut la fortune entière de votre femme. Cette fortune une fois entre mes mains, vous serez délivré sur l’heure et vous aurez les moyens de quitter Nantes la nuit même de mon entrevue avec la citoyenne de Château-Giron. Libre à vous alors de rejoindre votre seconde femme et de vivre auprès d’elle. Pour moi, je quitterai la France en emmenant Hermosa. Cette fois, vous ne me reverrez plus. Comprenez-moi bien avant de répondre : la liberté pour vous, c’est la vie, c’est plus que la vie. C’est l’amour de Julie de Château-Giron ; c’est votre bonheur et le sien ; c’est enfin l’honneur de votre nom : car vous pourrez combattre pour votre cause. Mais si vous refusez, oh ! si vous refusez, ne vous en prenez qu’à vous de tous les malheurs qui en résulteront. Vous ne mourrez pas de suite. Je veux, avant, que vous voyiez souffrir ceux que vous aimez. Julie arrêtée sera d’abord jetée en prison, puis elle servira de jouet aux amis de Carrier.
– Misérable ! s’écria Philippe. Ne dis pas cela ou tu vas mourir !
Et, plus rapide que la pensée, le marquis s’élança sur Diégo et l’étreignit. On sait que les colères de Philippe étaient terribles. L’accès que l’Italien avait provoqué décuplait les forces du prisonnier ; mais malheureusement ces forces étaient presque éteintes par les souffrances qu’il subissait depuis deux mois. Cependant la supposition, ou plutôt le pronostic infâme de Diégo, avait tellement surexcité le courroux du marquis que, malgré toute sa vigueur, l’Italien plia et fut à demi renversé. Mais hélas ! ce fut tout ce que put faire Loc-Ronan.
Piétro avait dit que la nourriture des prisonniers manquait depuis quarante-six heures. Le fait était exact. Il y avait près de deux jours que Philippe n’avait mangé ! Diégo sentit donc mollir les bras qui l’étreignaient. Il fit un violent effort et rejeta le marquis sur son siège.
– Continuons, dit-il froidement, en voyant Philippe désormais incapable de résistance. Je disais que Julie servirait de jouet aux amis de Carrier : puis ensuite elle sera noyée ou fusillée. Tu crois, citoyen Loc-Ronan, que tu mourras alors ? Pas encore. Il te restera autre chose à voir. Cette autre chose sera le supplice de Marcof le Malouin, de Marcof le chouan, de Marcof ton frère, entends-tu ?
– Marcof ! répéta Philippe.
– Oui. Il est à Nantes, et, suivant son habitude de folle témérité, il y est venu accompagné seulement de deux hommes. Il est arrivé hier soir. Il te cherche sans doute ; mais je le défie de pénétrer jusqu’ici. Tous mes ordres sont donnés. J’ai les pleins pouvoirs de Carrier pour agir. Dans quelques heures, Marcof et ses compagnons seront entre mes mains. Tu le verras mourir avant toi. Allons ! parle, maintenant. Veux-tu, oui ou non, me donner pour ta femme la lettre que je te demande ?
Philippe se leva lentement. Il jeta un regard de mépris sur l’homme qui lui parlait ainsi avec une brutalité si horrible. Il parut hésiter. Puis les forces l’abandonnèrent, et il retomba sur sa chaise en comprimant son front entre ses mains crispées. Diégo le couvait
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