La Marquis de Loc-Ronan
commence, et je vous réponds que vous ne languirez pas longtemps. Sachez seulement que je viens vous proposer la vie, la liberté et la tranquillité.
– Vous ?
– En personne !
– Je n’y crois pas.
– Vous me méconnaissez.
– M. de Fougueray, vous m’avez dit à l’instant que vous connaissiez la retraite où s’est cachée mademoiselle de Château-Giron. Si vous m’avez parlé ainsi, c’est que, par un moyen que j’ignore, je puis vous payer ce secret. Quel prix y mettez-vous ? Dites-le promptement et cessons cette conversation qui me soulève le cœur !
– Soit, citoyen Loc-Ronan, soyons brefs, je le veux bien. Voici ce qui m’amène. Votre seconde femme a une fortune immense. Cette fortune, réalisée jadis en or et en bijoux, est enfouie dans un endroit dont elle seule possède le secret. Eh bien ! je veux connaître ce secret et avoir cette fortune. Suis-je suffisamment clair et précis ?
– Infâme ! s’écria le marquis, vous voulez dépouiller une femme !
– Parfaitement.
– Et c’est à moi que vous venez le dire !
– Pour que vous m’aidiez !
– Moi ?
– Sans doute ; vous lui conseillerez d’agir selon mes vues.
– Jamais !
– Vous le ferez.
– Jamais, vous dis-je !
– J’aurai ce secret aujourd’hui même, marquis Philippe de Loc-Ronan, ou sans cela…
– Sans cela ?
– La citoyenne Château-Giron sera arrêtée demain.
– Vous voulez me tromper ; vous ne savez pas où est Julie.
– Réfléchissez donc ! Si je l’ignorais, pourquoi viendrais-je vous demander une lettre pour elle ? Cette lettre ne me servirait de rien. Vous savez peut-être le secret ; mais je sais également que vous ne me le révélerez pas. C’est pourquoi je vous demande une lettre pour madame de Loc-Ronan ; lettre dans laquelle vous lui conseillerez de faire ce que je lui demanderai en ce qui concerne sa fortune. De deux choses l’une, ou je remettrai cette lettre, et dès lors il faut bien que je sache où est la marquise, ou je ne la remettrai pas, et dans ce cas, pourquoi et dans quel intérêt l’exigerais-je ? Il me semble que ce raisonnement est parfaitement logique. Vous ne me répondez pas ? Vous me croyez plus ignorant que je ne le suis. Pour vous convaincre, écoutez-moi.
Et Diégo continua en dardant ses regards ardents sur Philippe, qui, à demi convaincu, pressait douloureusement sa noble tête entre ses mains amaigries :
– Le soir même du jour où vous vous êtes fait passer pour mort, vous avez pris la fuite avec Jocelyn. Vous vous êtes rendu à l’abbaye de Plogastel, abbaye dans laquelle nous étions nous-mêmes ; mais nous ignorions complètement votre présence. Dans les cellules souterraines, vous avez retrouvé votre femme, Julie de Château-Giron. Puis vous vous êtes sauvé à Audierne, et là, le fils d’une fermière des environs vous a fait passer sur son navire de pêche et vous a conduit en Angleterre ainsi que votre femme et Jocelyn. Je suis bien instruit, qu’en pensez-vous, mon cher beau-frère ? Ma police est-elle convenablement faite ?
– Mais qui donc vous a révélé tous ces détails ? dit Philippe avec stupeur.
– Cela vous serait agréable à savoir ? Je vais vous le dire, d’autant que le mystère m’importe peu maintenant. Huit jours après votre départ de France, un homme me racontait ces événements qu’il tenait de la bouche même de celui qui vous avait embarqué et qui vous avait parfaitement reconnu. Cet homme était un simple berger et se nommait Carfor. Grâce aux sottes croyances des paysans bretons, Carfor exerçait une grande influence sur le pays, et le pêcheur en question était à la dévotion du prétendu sorcier. Celui-ci s’est renseigné d’abord et m’a raconté ensuite. Voilà tout. Le fait est simple et croyable, car vous étiez hors de France, et ceux qui parlaient ne pensaient pas vous compromettre. Seulement le hasard m’a bien servi. Une fois certain de vous retrouver à Londres, je me mis à votre recherche. Vous veniez de rejoindre les émigrés en Allemagne. Ne pouvant vous suivre, je payai largement des gens à moi pour me suppléer, et depuis deux ans, depuis votre étonnante résurrection, j’ai connu jour par jour vos moindres démarches…
– Qu’aviez-vous donc à gagner en agissant ainsi ? je ne possédais plus rien.
– Vous oubliez la fortune dont je vous parlais tout à l’heure. Laissez-moi achever. C’est sur ma
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