La Marquis de Loc-Ronan
portaient.
Philippe devina la pensée de son interlocuteur, mais il se contenta de hausser dédaigneusement les épaules.
– Que me voulez-vous donc encore ? demanda-t-il froidement et avec une hauteur extrême.
– Causer quelques instants, avec vous, cher beau-frère, répondit Diégo avec une affabilité railleuse. Il y a si longtemps que nous ne nous sommes vus que nous devons avoir bien des choses à nous dire !
– Assez ! dit brusquement Philippe. Je n’ai plus ni or, ni argent, ni terres, ni châteaux, ni fortune enfin. Que me voulez-vous donc ?
– Vous avez un bien plus précieux que tout cela à défendre, et ce bien c’est la vie.
– Est-ce donc à ma vie que vous en voulez ?
– Je veux la défendre, mon cher beau-frère.
– Vous ?
– Moi-même, qui vous ai toujours apprécié comme vous le méritez.
– Je suis condamné, monsieur, dit froidement le marquis, et j’ai hâte de mourir pour être délivré de tous mes maux. D’ailleurs l’existence venant de vous, je la repousserais !
– Cependant, dit Diégo, la mort est une vilaine chose, surtout par la façon dont elle arrive ici, et sans parler du typhus, il me semble qu’être noyé dans la Loire ou fusillé sur la place du Département…
– Vaut mieux mille fois que d’être guillotiné devant une foule sanguinaire et stupide ! interrompit Philippe. Mourir par le fer est la mort du soldat ; ce doit être la mienne. Mourir noyé dans le fleuve, c’est quitter la vie entouré de pauvres innocents qui vous font cortège pour monter au ciel. L’une ou l’autre façon de gagner l’éternel sommeil ne m’effraye pas, au contraire, je les attends toutes deux avec calme, presque avec impatience.
Diégo se mordit les lèvres. Les exécutions n’avaient nullement porté l’effroi dans l’âme du stoïque gentilhomme, et le bandit avait perdu en vain quatre jours à attendre. Le marquis fit un pas pour quitter la chambre.
– Vous voyez, dit-il, qu’il est inutile de prolonger l’entretien.
– Si fait ! s’écria Diégo ; causons au contraire, et plus que jamais je tiens à votre aimable compagnie.
– Je n’ai rien à entendre, vous dis-je.
– Vous croyez ?
– J’en suis certain.
– Peut-être vous trompez-vous ?
– Non.
– C’est ce que nous allons voir.
Et Diégo, après une légère pause, reprit d’une voix ferme :
– Il s’agit de votre seconde femme.
– De Julie ! s’écria Philippe avec un violent mouvement.
– D’elle-même.
– Mon Dieu ! un danger la menace-t-il ? Est-elle donc arrêtée de nouveau, elle qu’un miracle avait sauvée ?
– Non ; elle est libre encore ; mais je connais l’endroit où elle se cache !
Philippe poussa un soupir.
– Vous voyez bien que nous avons à causer ! continua Diégo en souriant.
– Seigneur ! s’écria le marquis en levant les mains vers le ciel ; Seigneur ! qui me délivrera donc de ces maudits attachés à mes pas !
– Oh ! les grands mots ! répondit l’Italien. Les phrases à la Voltaire ! Ceci est un peu bien passé de mode, je vous en avertis. Et puis, vous venez de commettre une énorme faute de grammaire. Vous employez le pluriel. Vous dites : « les maudits ! » Erreur, cher beau-frère, grave erreur. Il fallait vous écrier : « le maudit ! » car j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. Le chevalier de Tessy est mort et bien mort. Le diable ait son âme ! n’est-ce pas ? Allons, je vois à votre physionomie que cela ne vous suffit pas. Vous voudriez que j’allasse rejoindre le plus tôt possible ce cher frère que je pleure tous les jours. Mais, bah ! j’ai l’âme chevillée dans le corps, moi ! Donc n’y songez pas, et sachez seulement que je demeure seul, avec la marquise, bien entendu, la douce et belle Hermosa, que vous avez tant aimée.
– Assez ! interrompit brusquement Philippe. Parlez clairement ; que me voulez-vous ?
– Causer, je vous l’ai dit.
– À quel propos ?
– À propos des choses les plus intéressantes pour nous deux. Mais d’abord n’êtes-vous pas un peu curieux de savoir comment j’ai pu deviner que vous étiez vivant, vous à l’enterrement duquel j’ai assisté jadis ?
– Allez au but !
– Pour y arriver, je suis contraint de faire un détour.
Philippe fit un mouvement convulsif ; mais il s’arrêta.
– Parlez comme bon vous l’entendrez, dit-il ; j’écoute.
– À la bonne heure. Je
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