La Marquis de Loc-Ronan
promis quelque chose ?
– Il le fallait bien !
– Comment cela ?
– Pinard avait la surveillance des prisons, il pouvait faire mourir le marquis.
– C’est vrai.
– Comprends-tu, maintenant ?
– Je commence. Et où en est cette affaire ?
– Elle sera terminée aujourd’hui même.
– Nous aurons l’argent ? s’écria Carrier dont les yeux brillèrent.
– Non ; mais nous aurons la lettre qui nous le fera avoir.
– Comment toucherai-je, moi ?
– Rien de plus simple. La lettre dont je te parle, une fois entre mes mains, j’irai à la Roche-Bernard l’échanger contre une autre qui me révélera l’endroit où est enfoui le trésor. Donne-moi une escorte pour aller à la Roche-Bernard et ordonne au chef de me ramener à Nantes mort ou vif.
– J’accepte.
– Le secret connu de nous deux, nous irons ensemble à l’endroit indiqué et nous partagerons.
Cette fois, Diégo agissait avec franchise et sans la moindre arrière-pensée. Il préférait de beaucoup avoir affaire à Carrier plutôt qu’à Pinard. Il avait espéré que le lieutenant du proconsul aurait été massacré, et il avait nourri la pensée de s’approprier entièrement la fortune de Julie. Mais en apprenant le retour de Pinard, il comprit vite qu’il n’aurait pas le temps d’agir seul, ou que son complice, instruit de son manque de foi à son égard ne négligerait rien pour se venger. Alors il perdait tout. Bien mieux valait partager avec le proconsul, faire disparaître Pinard et s’assurer ainsi une certitude de gain.
Avec sa rapidité de conception ordinaire, Diégo avait envisagé la situation sous ses différentes faces et s’était promptement décidé, ainsi qu’on vient de le voir. Puis, un autre sentiment encore s’était fait jour dans sa pensée. L’ancien bandit réfléchissait qu’Yvonne demeurait seule à sa merci ; sa passion étouffée se réveilla tout à coup en voyant les obstacles tomber.
De son côté, Carrier se laissait aller à des idées qui, quoique différentes, devaient aboutir au même but. Il trouvait plus simple et plus avantageux de ne pas partager avec Pinard, et en même temps il songeait aux moyens de ramener Fougueray à Nantes après avoir dépouillé le trésor. Une fois l’affaire faite et son complice entre ses mains, il ne doutait pas qu’il ne parvînt à s’approprier la somme tout entière.
Aussi, après quelques minutes de silence, la conversation reprit-elle plus vive entre les deux hommes. Carrier entra nettement dans la question.
– Tu veux faire disparaître Pinard ? dit-il.
– Oui, répondit Diégo sans hésiter.
– J’y consens.
– Très bien.
– À une condition.
– Laquelle ?
– Tu te chargeras de tout ; je ne ferai rien ; je laisserai faire.
– Soit.
– Tu le feras arrêter ?
– Ce soir même, s’il se présente.
– Mais tu ne sortiras pas de la ville ?
– Je te le promets.
– Cela ne suffit pas.
– Que veux-tu pour te rassurer complètement ?
– Une certitude matérielle.
– Parle !
– Nous allons retourner aux prisons ensemble ; tu verras ton aristocrate, et ensuite je te donnerai l’escorte que tu m’as demandée pour te rendre à la Roche-Bernard.
– Si je pars, qui arrêtera Pinard ?
– C’est juste.
– Tu te défies de moi ?
– J’aime les choses claires, et je ne veux pas te laisser le moyen de me tromper.
– Dans la crainte que la tentation ne soit forte ?
– Précisément.
– Alors, autre chose.
– Quoi ?
– Je ne te quitte que pour aller donner les ordres relatifs à Pinard, et ce ne sera qu’après l’arrestation de celui-ci que je me rendrai au Bouffay.
– Qui m’assure que tu ne le feras pas avant ?
– Agis en conséquence ; défends jusqu’à nouvel ordre l’accès des prisons.
– Tu as raison.
Et Carrier appela à haute voix. Un sans-culotte ouvrit la porte du cabinet.
– Chaux est-il en bas ? demanda Carrier.
– Oui, citoyen.
– Fais-le monter.
Deux minutes après, Chaux faisait son entrée dans le cabinet du proconsul. Carrier écrivit rapidement quelques lignes et tendit le papier au sans-culotte.
– Cet ordre au Bouffay, dit-il. Tu l’exécuteras toi-même ; prends des hommes de garde avec toi et que personne ne puisse pénétrer dans les prisons avant onze heures du soir. Personne, entends-tu ? Je ferais guillotiner toi et tous les geôliers si j’apprenais que quelqu’un eût pu
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