La Marquis de Loc-Ronan
sous ses regards ardents.
– Décide-toi ! dit-il.
En ce moment la porte s’ouvrit brusquement et Piétro entra.
– On te demande de la part de Carrier, dit-il à Diégo.
– Qui cela ?
– Son aide de camp.
– Qu’il attende.
– Non pas. Il a l’ordre de te ramener avec lui. Pinard est retrouvé !
– Pinard est retrouvé ?
– Oui.
– C’est bien ! je te suis.
Piétro sortit et referma la porte. Diégo revint vivement vers le marquis.
– Dans deux heures je serai de retour, dit-il. Réfléchis, et sache bien qu’il faut que ta réponse soit décisive. La liberté et la vie en échange de la fortune de Julie. La mort de ta femme, celle de ton frère et la tienne si tu refuses. Dans deux heures ! Si tu te laissais mourir avant, j’agirais comme si tu avais refusé. Tu vois que la tête est bonne et que je prévois tout. Adieu ! ou plutôt au revoir ; à bientôt !
Et Diégo s’élança au dehors.
Philippe était atterré. Il n’entendit pas Piétro rentrer près de lui. Le geôlier s’arrêta cependant devant le gentilhomme, et, le considérant attentivement, il murmura :
– Ah ! ce pauvre homme est le frère de Marcof ! Eh bien ! je vais d’abord lui donner la moitié de mon pain. Après, nous verrons.
XXV – À BRIGAND, BRIGAND ET DEMI
Diégo trouva l’aide de camp du proconsul dans la cour de la prison. Tous deux se dirigèrent rapidement vers Richebourg. Carrier était seul dans son cabinet.
– Viens donc ! dit-il brutalement à Diégo en le voyant apparaître sur le seuil de la porte ; viens donc, citoyen Fougueray, j’ai du nouveau à te communiquer.
– Qu’est-ce que c’est ? demanda l’Italien.
– J’ai reçu une lettre de Pinard.
– Quand cela ?
– À l’instant.
– Et qui te l’a remise ?
– Un sans-culotte de garde.
– Ce n’est pas cela que je te demande. Comment cette lettre a-t-elle été apportée à Nantes, et par qui a-t-elle été donnée au sans-culotte ?
– Par un paysan breton de Saint-Étienne, un rude patriote que nous connaissons depuis longtemps.
– Et cette lettre est bien de Pinard ?
– Sans doute.
– Voyons-la !
– Tiens ; relis-la moi.
Et Carrier tendit à Diégo une feuille de papier soigneusement pliée que l’Italien prit avec une mauvaise humeur évidente.
Il l’ouvrit et lut ce qui suit :
« Citoyen représentant,
« Tu as dû apprendre que j’étais tombé, la nuit dernière, entre les mains des brigands qui avaient pénétré dans Nantes. J’ai enduré les tortures qu’il leur a plu de me faire subir, et j’ai dû me montrer digne de toi. Aussi le hasard m’a-t-il protégé. J’ai pu retrouver, parmi ces aristocrates maudits, deux braves patriotes qui les suivaient à contre-cœur. Nous nous sommes compris ; les instants étaient précieux ; nous avons agi sans retard.
« À l’heure où je t’écris, je suis libre, mais je suis obligé de me cacher jusqu’à la nuit prochaine. Alors j’arriverai à Nantes avec les deux patriotes qui m’ont sauvé. Les brigands seront punis de leur infamie, car j’ai découvert le secret de leur retraite.
« Envoie donc à dix heures du soir la compagnie Marat à la porte qui avoisine l’Erdre. Je la rejoindrai là, et cette nuit même je m’emparerai de deux chefs : Marcof et Boishardy. Demain tu les auras en ton pouvoir. Je compte sur toi pour agir vigoureusement.
« Salut et fraternité,
« PINARD. »
Diégo replia froidement la lettre, la remit à Carrier et plongea ses regards ardents dans les yeux du proconsul. Carrier détourna la tête.
– Que feras-tu ? demanda l’Italien.
– Que ferais-tu à ma place ? répondit Carrier en éludant ainsi une réponse à la question si nettement posée.
– Ce que je ferais ?…
– Oui.
– Si je m’appelais Carrier et que j’eusse tes pouvoirs, dit Fougueray d’une voix nette et ferme, j’enverrais des sans-culottes autres que ceux de la compagnie Marat, et je ferais arrêter Pinard.
– Arrêter Pinard !
– Parfaitement.
– Et ensuite ?
– Ensuite, je le déporterais… verticalement.
– Pourquoi ?
– Parce que Pinard ne t’est plus utile, parce que Pinard partagerait avec toi les rançons que je te ferai donner, parce que Pinard te gêne, et parce qu’enfin je trouve absurde de lui abandonner un tiers des millions que nous avons à toucher.
– Ceux du marquis de Loc-Ronan ?
– Oui.
– Tu lui avais donc
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