La Marquise de Pompadour
pas la peine de nous occuper de cette affaire…
Il n’y avait pas de doute possible.
L’homme qui parlait ainsi, c’était le lieutenant de police en personne.
Il était impossible de soupçonner M. Berryer !…
Il disait la vérité ! Jeanne était menacée ! Il fallait la sauver à tout prix !… Et pour sauver Jeanne, il n’y avait qu’à rigoureusement obéir au lieutenant de police !…
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Chapitre 23 LE PLAN DE BERRYER
M onsieur Berryer était à cette époque un homme de quarante ans. Il avait débuté assez brillamment dans la magistrature, et avait été conseiller d’Etat, puis maître des requêtes. Enfin, il avait obtenu l’intendance du Poitou, et n’avait quitté ce poste que pour devenir le lieutenant de la police royale, c’est-à-dire un des personnages les plus influents et les plus redoutés de la Cour.
Si l’on veut avoir un portrait de Berryer, on n’a qu’à se figurer le type classique de l’ambitieux.
Sec, maigre, de manières à la fois doucereuses et autoritaires, il paraissait accablé du souci de sa charge.
En réalité, ce qui le tourmentait, c’était le souci de ses propres affaires.
Il avait résolu de devenir quelqu’un dans l’Etat. La lieutenance de police, dans son esprit, n’était qu’un marchepied pour s’élever plus haut. Cette charge, en effet, lui permettait de rendre adroitement des services aux personnages qu’il voulait ménager, d’écarter par la terreur et au besoin par la lettre de cachet ceux dont il pensait avoir quelque chose à redouter, et enfin, surtout, de connaître mille secrets qui le rendaient maître de l’honneur ou de la vie de bien des familles.
Mais ce qu’il faut ajouter immédiatement, c’est que Berryer n’était pas un ambitieux vulgaire. Il était armé d’une philosophie qui le rendait fort d’avance contre toutes les disgrâces possibles ; il ressemblait ainsi au lutteur qui, avant le combat, a fait le sacrifice de sa vie et dont le courage se trouve décuplé par ce fait même qu’il ne craint plus rien. Il était audacieux, entreprenant, et quand une fois il avait pris une résolution, il allait droit au but avec cette foudroyante rapidité qui démoralise l’ennemi. De plus, il possédait une pénétration d’esprit qui lui permettait de trouver rapidement le point faible de ses adversaires…
Il avait longuement et sérieusement étudié le roi.
Il était un des rares qui connussent parfaitement les secrètes faiblesses de ce caractère.
Il avait été l’un des ouvriers les plus actifs de la ruine de la belle M me de Châteauroux.
Et maintenant que Louis XV se trouvait sans maîtresse attitrée, il s’était juré que la prochaine favorite lui devrait son élévation.
Car nul ne pouvait admettre que la Cour de France demeurât longtemps sans favorite.
M me de Châteauroux partie, chacun se demandait quelle serait la remplaçante.
Dans la soirée de l’Hôtel de Ville, Berryer fut le seul à deviner la passion qui s’emparait du roi. Dans cette adorable petite fille qu’était M me d’Etioles, il devina la force énorme de l’amour sincère. Il comprit toute la puissance que pourrait avoir un pareil amour sur un roi habitué à ne trouver autour de lui que des adorateurs de la couronne.
Dans les jours qui suivirent, il put constater les progrès que cette passion faisait dans le cœur de Louis XV.
Cette fois, le roi était touché !
Il ne parlait pas de M me d’Etioles, et toute la Cour en conclut qu’il l’avait oubliée déjà. Louis XV était rêveur, distrait, et passait des journées entières dans un cabinet du Louvre à songer, à l’écart…
– Le roi s’ennuie ! disaient les courtisans.
– Le roi est amoureux ! se dit Berryer.
Une fois qu’il fut bien sûr de ne pas se tromper, il résolut de frapper un grand coup, et organisa l’enlèvement de Jeanne… Nous allons voir se développer son plan…
Il était sûr maintenant, grâce à la naïve complicité de Noé Poisson et de Crébillon, de faire monter Jeanne dans un carrosse… Qui se trouverait dans ce carrosse ?… Où irait-il ?
Ces points n’étaient pas réglés encore dans l’esprit de Berryer… et nous allons le voir à l’œuvre.
Il ne doutait pas du succès. Et le succès, pour lui, c’était la faveur du roi à qui il aurait rendu un de ces services qu’il est impossible d’oublier, et la faveur de M me d’Etioles, plus précieuse encore, puisque c’est à lui
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