La Marquise de Pompadour
roi ?…
– J’ai eu cette audace, répondit le chevalier d’Assas d’une voix désespérée, parce que je croyais trouver dans ce carrosse un homme faisant métier de sbire… Je ne pouvais supposer que le roi de France consentirait à remplacer cet homme et à faire son métier !…
– Vous êtes bien hardi, mon maître ! s’écria le roi avec un geste de rage. Ce que vous venez de dire pourrait vous coûter cher !… Mais je veux être bon prince… Excusez-vous et passez votre chemin…
– J’ai cru, dit d’Assas, à la magnanimité du roi : j’ai eu tort ! J’ai cru à l’honnêteté de la femme qui est là : je m’en excuse !…
– Et vous portez le costume de mes officiers ! rugit Louis XV. Votre nom, monsieur !
Jeanne avait reconnu le chevalier.
Tremblante de terreur et de pitié pour ce noble et si beau cavalier pour lequel, à de certains moments, elle avait peut-être éprouvé un sentiment plus doux, elle s’élança vers lui et lui saisit la main.
– Votre nom ! répéta le roi avec une fureur grandissante.
– Silence ! murmura Jeanne. Silence ! Et fuyez !… Ou vous êtes perdu !…
– Sire ! dit le jeune homme, je m’appelle le chevalier d’Assas et je suis officier au régiment d’Auvergne. J’ai insulté la majesté royale dans la personne du roi et dans celle de sa maîtresse… A qui faut il remettre mon épée ? A elle ou à vous ?…
Jeanne, repoussée par le chevalier qui s’avançait, recula avec un cri d’angoisse et, haletante, attendit la décision du roi.
– Gardez votre épée, chevalier d’Assas, dit Louis XV. Et allez la remettre à mon capitaine des gardes, au Louvre. Vous lui ordonnerez de vous arrêter et de vous garder au Louvre jusqu’à ce que j’aie pris à votre égard la décision qui convient…
– J’y vais, Sire ! répondit tranquillement d’Assas.
– Un mot encore, monsieur, reprit le roi. Si par hasard l’idée de fuir vous venait, sachez que…
– Sire ! interrompit d’Assas, dans ma famille on n’a jamais fui – ni la prison ni la mort. Veuille donc Votre Majesté se rassurer : je vais de ce pas me rendre prisonnier…
Il se tourna vers Jeanne, et, refoulant un sanglot, d’une voix ferme, douce et triste, il prononça :
– Adieu, madame !…
Et il se dirigea vers son cheval sans tourner la tête.
– L’insolent ! gronda Louis XV, il saura ce qu’il en coûte de braver le roi de France !… S’il ne fuit pas, une bonne corde…
– Sire, murmura Jeanne pantelante, écoutez-moi… Ce jeune homme m’aime…
– Raison de plus !…
– Sire, je vous demande sa grâce !…
– Eh quoi ! n’avez-vous pas entendu ?… Vous pleurez !…
– Sire, songez que le souvenir de notre rencontre sera souillé de sang !…
– Eh bien, soit !… Il ne mourra pas !
Et en lui-même, le roi ajouta :
– La Bastille tue aussi bien que la hache du bourreau !
– Sire ! reprit Jeanne en saisissant convulsivement la main de Louis XV, c’est la grâce entière de ce jeune homme que je vous demande !…
– Ah ! ah !… Vous l’aimez donc ?…
– Non ! je n’aime que vous au monde, Sire ! répondit Jeanne d’une voix pénétrante, brisée de sanglots, et si profonde, si vraie, que le roi fut convaincu. Seulement, écoutez bien, Sire : Si M. le chevalier d’Assas n’est pas libre à l’instant, je l’appelle au moment où il va passer, je me confie à lui, et je le prie de me ramener à l’hôtel d’Etioles avant de se rendre au Louvre !…
Elle palpitait. De ses deux mains, sur son sein, elle contenait les battements de son cœur.
Sombre et hésitant, le roi la regardait… et il l’admirait ! Elle était en ce moment d’une beauté tragique qui le bouleversait de passion…
A ce moment, le chevalier d’Assas avait rejoint son cheval, avait sauté en selle, et, au pas, revenait vers le carrosse pour rentrer à Paris… Il arrivait à la hauteur du roi…
Jeanne fit un pas vers lui.
Alors Louis XV se décida : il la retint d’un geste, et appela :
– Chevalier d’Assas !…
Le chevalier arrêta net sa monture, et sans prononcer un mot, attendit…
– Vous êtes libre, monsieur ! dit le roi d’une voix altérée.
– O mon roi ! ô mon Louis ! murmura Jeanne. Comme vous êtes bien tel que je vous avais rêvé… magnifique et généreux !…
– Il me plaît, reprit Louis XV, d’oublier et votre acte insensé et les
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