La Marquise de Pompadour
votre serviteur…
– Berryer, dit le roi, vous me rendez là un service que je n’oublierai pas.
Berryer s’inclina si bas que son front descendit presque à la hauteur des genoux du roi.
– Je n’ai fait que mon devoir, Sire ! murmura-t-il.
– Votre plan est admirable ! reprit Louis XV. C’est pardieu vrai ! Vous m’avez fait voir clair en moi-même : je n’osais pas ! Eh bien, je vais oser !… Berryer, je modifie quelque chose à votre plan !…
– Qu’est-ce donc, Sire ?…
– Ce n’est pas vous que M me d’Etioles doit trouver dans le carrosse lorsqu’elle y montera.
– Et qui, alors, Sire ?…
– Moi ! dit le roi. Partons, Berryer. Conduisez-moi. Ne perdons pas un instant !…
En même temps, Louis XV appela son valet de chambre et lui ordonna d’annoncer qu’il était couché et que chacun pouvait se retirer. Puis, jetant un manteau sur ses épaules et assurant une bonne épée à son côté, il sortit de l’appartement royal par une porte secrète, gagna un escalier dérobé, et bientôt, toujours suivi de Berryer, se trouva hors du Louvre.
Les deux hommes marchèrent rapidement jusqu’au carrefour Buci… Le carrosse ne tarda pas à arriver, conduit par Bernis… Berryer se posta près de l’entrée de la maison, et lorsque Jeanne apparut, la saisit et la poussa…
Le carrosse s’éloigna.
– Ma fortune est faite ! murmura le lieutenant de police.
Jeanne, en se sentant ainsi entraînée, eut la sensation rapide qu’elle avait été attirée dans un guet-apens. Dans la voiture, elle jeta un grand cri… mais deux bras vigoureux l’enlacèrent aussitôt…
– Laissez-moi, monsieur ! cria-t-elle. Laissez-moi ! Vous êtes un lâche !… Laissez-moi, ou je jure que je vous soufflette !…
– Jeanne !… Jeanne !… Ma chère Jeanne ! fit une voix ardente.
Elle reconnut la voix, écarta les mains qui couvraient ses yeux, et vit le roi à demi agenouillé.
– Vous !… Sire !… Quoi ! c’est Votre Majesté ! balbutia-t-elle.
– A vos pieds, Jeanne !… Ah ! pardonnez l’extrémité où m’a poussé mon amour ! Je ne vivais plus, Jeanne !… Je ne songeais plus qu’à vous ! Je voulais vous revoir à tout prix ! Et l’idée seule de demeurer un jour de plus sans vous voir m’était odieuse… Oh ! je vous en supplie, n’écartez pas ainsi votre tête, ne vous éloignez pas de moi !… Oui, j’ai osé concevoir et exécuter ce plan indigne peut-être d’un gentilhomme, mais digne du fou d’amour que je suis… Un mot, Jeanne… un regard qui me dise que vous me pardonnez !…
Jeanne s’était assise sur le coussin.
Elle était ravie, en extase… et elle sanglotait…
Elle éprouvait un bonheur inouï à entendre ainsi parler celui qu’elle adorait, et elle pleurait !…
– Sire, dit-elle tristement, vous en avez agi avec moi comme avec une de ces filles pour lesquelles il n’est plus de ménagement à prendre…
Le roi pâlit.
Le reproche était affreusement juste dans sa cruauté même.
Mais ce qui faisait pâlir Louis XV, c’était surtout la crainte que Jeanne ne lui échappât, qu’elle n’exigeât de lui de faire arrêter la voiture et de la laisser descendre.
– Ah ! s’écria-t-il, je vois bien que je m’étais trompé !
– Que voulez-vous dire, Sire ?…
– Vous ne m’aimez pas, Jeanne ! Voilà la vérité !…
– Moi !… Je ne vous aime pas !…
Ce fut un tel cri de passion que Louis XV en fut bouleversé, et pour ainsi dire ébloui… Sa tête s’enflamma… son cœur se mit à battre plus fort… il se laissa glisser à genoux, et saisissant les deux mains de Jeanne, il les couvrit de baisers furieux… et d’une douceur qui pénétrait la jeune femme jusqu’à l’âme.
Et enivré, exalté, il répétait :
– Je t’aime, ma Jeanne adorée… Je t’aime et suis à toi pour toujours…
– Sire ! Sire !… bégayait Jeanne, extasiée.
– Je t’adore, Jeanne. Ne le comprends-tu pas au son de ma voix ! Ne le comprends-tu pas même par la hardiesse de ce que je viens de faire ! Songe que c’est le roi de France qui a quitté secrètement son Louvre pour venir te retrouver !…
– Hélas ! murmura Jeanne, combien je serais plus heureuse si celui que j’aime n’avait ni Louvre ni gardes…
– Jeanne, pour te rejoindre, j’ai bravé plus que les gardes, j’ai bravé le scandale et les lois de l’étiquette…
– Sire, Sire !…
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