La Marquise de Pompadour
s’approcha de la porte d’entrée et souleva trois fois le marteau.
Aussitôt, comme s’il y eût quelqu’un qui veillât en permanence, la porte s’ouvrit, et une gracieuse soubrette apparut, éclairée par la lampe qu’elle tenait à la main. Cette femme reconnut-elle le roi ? Peut-être. Mais elle ne fit aucun geste de surprise, ne prononça pas un mot et se contenta d’éclairer le passage en élevant sa lampe.
Alors Louis XV se rapprocha du carrosse, ouvrit la portière et tendit la main.
Du Barry vit apparaître M me d’Etioles qui, pâle et tremblante, s’appuya sur cette main pour descendre.
Le roi la conduisit jusqu’à l’entrée de la maison, et, s’adressant à la soubrette :
– Suzon, dit-il, voici votre nouvelle maîtresse. J’espère que tout est prêt pour la recevoir dignement.
– Oui, monsieur, répondit la soubrette.
– Madame, reprit Louis XV en se tournant vers Jeanne, veuillez vous considérer ici comme chez vous. Et vous y êtes réellement. Car cette maison, dès cet instant, vous appartient. J’ose espérer que vous voudrez bien parfois, parmi les amis qui viendront vous saluer, recevoir le plus fidèle et le plus soumis de vos serviteurs.
En même temps il s’inclina profondément.
Jeanne, troublée jusqu’à l’âme, eut une dernière hésitation…
Elle fit une révérence et murmura d’une voix confuse :
– Vous serez toujours le bienvenu… monsieur !…
Et elle entra !…
Louis XV demeura un instant devant cette porte, un singulier sourire au coin des lèvres. Puis, vivement, il remonta dans le carrosse qui, quelques minutes plus tard, s’arrêta devant le château où tout était toujours prêt, nuit et jour, pour recevoir Sa Majesté…
– Ouf ! murmura Bernis en remettant le carrosse aux mains des valets d’écurie, je ne sais combien maître Berryer a pu grimper d’échelons cette nuit… je crois que, de mon côté, l’escalade se présente assez bien… Or çà ! réfléchissons maintenant !… Dois-je ou non prévenir ce cher M. Jacques… oh ! pardon… monseigneur !… Voyons : de quel côté dois-je me laisser pousser ?… Si je laissais faire ?… Qui sera vainqueur ? le roi, ou la puissante société à laquelle je suis affilié ?… Prenons toujours deux jours de repos… et de réflexion…
Sur ce, M. de Bernis se retira dans la chambre qu’on lui avait préparée, et se mit, en effet, à réfléchir.
Quant à du Barry, il était remonté sur sa bête et avait repris à franc étrier le chemin de Paris.
A trois heures du matin, tandis que Bernis réfléchissait, que Berryer attendait, que Jeanne songeait à l’étourdissante aventure et que le roi dormait fort paisiblement, du Barry frappa à la maison de la rue du Foin, et, malgré l’heure, fut aussitôt introduit.
Là aussi, on était prêt à toute heure du jour et de la nuit…
Le lendemain, Paris apprit avec indifférence que la Cour s’était transportée à Versailles que le roi fût au Louvre ou au château, les édits sur les impôts n’en pleuvaient pas moins avec leur implacable régularité. Les Parisiens ne furent donc ni attristés ni joyeux de savoir que, par un de ces caprices qui étaient fréquents, leur monarque avait quitté la ville dans la nuit pour aller dormir à Versailles.
Toute la journée ce fut un exode de cavaliers, de carrosses, seigneurs et hautes dames s’empressant de courir là où ils étaient sûrs de retrouver Sa Majesté, c’est-à-dire la source des honneurs et des faveurs.
Seulement, comme tout ce monde était au courant des habitudes de Louis XV, il ne témoignait pas la même philosophie indifférente que les bons bourgeois de Paris.
Les ministres étaient soucieux.
Les jeunes seigneurs étaient au contraire tout joyeux : car Versailles, c’était le lieu de délices… les fêtes de toute nature, la grande vie royale et somptueuse…
Les dames se demandaient ce que cachait ce caprice du roi…
Et plus d’une songeait à cette petite M me d’Etioles avec qui Sa Majesté s’était entretenue pendant la fête de l’Hôtel de Ville… Quelques unes, aussi, pensaient à cette superbe M me du Barry que le roi avait paru si fort admirer, – et toutes, avec inquiétude, avec une sourde jalousie, se demandaient si, en arrivant à Versailles, on n’allait pas leur présenter quelque nouvelle duchesse de Châteauroux…
L’étonnement de tous et de toutes fut grand lorsque, le soir, on vit le
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