La Marquise de Pompadour
dit-il.
– Mais si fait !… Vous êtes blessé… C’est une raison suffisante !…
– C’est vrai, Monseigneur, fit de Bernis avec joie, je n’y pensais plus…
– A la raison ou à la blessure ?… C’est le chevalier qui vous a blessé ?…
– Oui, Monseigneur.
– Coup d’épée ?…
– Non : il a fait feu sur moi…
– Un coup de pistolet. Tenez, mon enfant, j’ai sur moi un baume souverain contre les coups de feu… laissez-moi débander votre bras et je réponds d’une prompte guérison…
– Monseigneur, balbutia Bernis devenu blême, je… ne permettrai pas… je suis confus…
– Bah ! Bah !… Laissez-moi faire, vous dis-je !
En même temps, M. Jacques débouchait un flacon qu’il venait de sortir de sa poche et saisissait le bras en écharpe.
Bernis se recula de deux pas et tomba à genoux.
– Monseigneur, dit-il en courbant la tête, accablez-moi : j’ai menti ! Je ne suis pas blessé !…
– Ceci est plus grave, dit M. Jacques après quelques instants de silence. Un mensonge !… Vous savez comme nous punissons le mensonge de l’inférieur au supérieur, à plus forte raison le mensonge au général de l’ordre !… Vous n’avez qu’un moyen d’espérer l’absolution : c’est de mettre à nu votre âme. Si vous avez éprouvé quelque mauvaise tentation, si le démon de l’ambition précipitée vous a soufflé des conseils pernicieux, dites-le moi… et nous verrons !…
– Monseigneur, dit Bernis en se relevant, je n’ai d’autre faute à me reprocher que celle de ne pas être venu vous prévenir, comme c’était mon devoir…
M. Jacques, sans dire un mot, alla à un fauteuil où il avait déposé son manteau. Il saisit le vêtement et s’en enveloppa.
– Que faites-vous, Monseigneur ! s’écria Bernis en tremblant.
M. Jacques, alors, se retourna vers lui.
Il était méconnaissable. Ses yeux flamboyaient. Ses traits étaient empreints d’une indicible majesté.
– Ce que je fais ? gronda-t-il. J’abandonne la brebis égarée qui refuse de rentrer au bercail. Je fuis cet appartement où l’on respire une atmosphère de trahison et de mensonge !… Rappelez-vous le papier que vous avez signé ! Rappelez-vous que vous vous êtes engagé à servir les intérêts de l’ordre contre les intérêts du roi. Demain, ce soir, que dis-je ! dans quelques minutes, ce papier sera dans les mains de Louis XV. Tout à l’heure vous étiez son favori. Cette nuit où vous avez fait des rêves de fortune, vous l’achèverez à la Bastille… et vous pourrez y réfléchir aux moyens de nous trahir encore. Seulement, votre réflexion risque de durer toute votre vie !…
– Grâce, Monseigneur ! bégaya Bernis. Vous êtes terrible. Je me repens ! oh ! je me repens !…
– Ainsi, continua M. Jacques, vous vous êtes dit : « Je ne préviendrai pas mon chef des choses qu’il a intérêt à savoir. Je servirai les honteuses passions de ce roi pervers ! Et de cette façon, je m’élèverai plus rapidement au faîte de la fortune !… » Insensé. ! Vous avez eu pourtant la preuve que je savais toujours tout à temps !…
– Pardonnez-moi, Monseigneur ! s’écria Bernis. Eh bien, oui, je l’avoue ! l’ambition m’a tenté ! L’ambition m’a fait sortir de la voie étroite ! Mais je suis prêt à y rentrer !… Non pas que je redoute l’écroulement d’un rêve ; non pas que j’ai peur de la Bastille !… Monseigneur, vous le savez : pour un rêve qui s’envole, on en échafaude vingt autres… et on peut sortir du cachot le plus secret !… Vous connaissez mon âme, vous savez quelles sont mes aspirations ! Eh bien, Monseigneur, je me repens parce que je vois que vous êtes réellement le plus fort, parce que je vous admire et que vous m’inspirez un sentiment qui confine à l’adoration… Soyez clément, soyez généreux… et vous me savez capable de réparer les plus grands malheurs…
– Bien, mon fils ! dit M. Jacques en revenant prendre sa place auprès du feu. En ce moment, vous êtes vraiment sincère, et j’espère que cette nuit vous aura été une leçon salutaire… Vous êtes une des plus subtiles intelligences qui soient dans notre ordre. Vous m’êtes précieux. Je ne perdrai donc pas de temps à feindre une sévérité qui est loin de mon cœur et de mon esprit. Vous êtes pardonné. Jamais plus un mot sur tout ceci…
Bernis se courba, saisit la main que lui
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