La Marquise de Pompadour
vous ; un jour, il voulut sortir comme vous allez faire… il nous revint vers la nuit avec deux bons coups d’épée au travers du corps, ce dont il trépassa une heure plus tard le plus chrétiennement du monde, au reste. Nous avons appris par la suite que ce digne gentilhomme avait rôdé de trop près autour d’une maison solitaire où demeurait la dame de ses pensées… et que quelque jaloux… le mari peut-être… vous comprenez ? Enfin, j’ai cru de mon devoir de prévenir monsieur le chevalier.
– Ton intention est bonne, mon ami. Aussi, pour le soin que tu veux bien prendre de ma santé, voici deux louis…
A la grande surprise du chevalier, le valet Lubin sourit et refusa poliment les deux louis, en disant qu’il se ferait chasser s’il acceptait et que c’était lui, au contraire, qui était chargé de remplir les fameuses bourses à mesure qu’elles se videraient.
D’Assas sortit, assez préoccupé de cet incident.
Les paroles de Lubin semblaient si bien s’appliquer à sa propre situation, il y avait, ou du moins il croyait comprendre une telle menace sous les avertissements de cet étrange valet qui refusait le pourboire, qu’il en eut un frisson.
Mais pour rien au monde d’Assas n’eût renoncé à ce qu’il allait faire.
Et puis, en mettant les choses au pis, s’il était attaqué, il ne se laisserait pas ainsi tout doucement égorger.
Et puis enfin, s’il était tué… eh bien ! il ne souffrirait plus, voilà tout !
D’Assas se rendit donc tout droit à la petite maison, résolu à y entrer, à voir Jeanne, à se jeter à ses pieds et à lui demander pardon des paroles qu’il avait prononcées lors de la rencontre du carrosse.
Car il ne mettait plus en doute que Jeanne n’eût été enlevée par violence.
Seulement, il se disait que la violence avait été morale, que la malheureuse jeune femme avait dû céder à quelque effrayante menace dans le genre de celles qui l’avaient décidée, elle si belle, à épouser d’Etioles, ce monstre.
Le chevalier partit presque en courant, résolu à frapper à la porte de la petite maison dès qu’il y arriverait.
Mais une fois qu’il fut en vue de la maison, il ralentit le pas, et finalement s’arrêta sous le quinconce où il avait rencontré du Barry.
Maintenant, il n’osait plus !…
Vingt fois il fit le mouvement de se diriger vers la porte, vingt fois il recula…
Enfin, après s’être vigoureusement morigéné soi-même sur sa lâcheté, il marcha droit à la porte et souleva le marteau… puis il attendit, palpitant…
La porte ne s’ouvrit pas.
Aucune réponse ne lui parvint.
La maison ne donnait pas signe de vie.
A diverses reprises, il frappa.
Toujours même silence.
Enfin, il aperçut une sorte de paysan qui, le voyant frapper, s’arrêta, souleva son bonnet et dit :
– Mais, mon gentilhomme, cette maison est inhabitée. Vous appelez en vain… Voici des mois que je passe devant tous les jours, et jamais je n’y ai vu âme qui vive…
D’Assas eut une sueur froide.
Est-ce que Jeanne était repartie, ou bien est-ce qu’on l’avait transportée ailleurs ?…
Non ! C’était impossible… Mais il fit cette réflexion qu’on ne lui ouvrirait certainement pas et qu’en s’obstinant à frapper, il risquait de donner l’éveil à ces jaloux dont avait parlé Lubin…
Il se retira donc, et rentra fort désespéré dans la mystérieuse maison de la ruelle aux Réservoirs.
Il passa le reste de la journée et la soirée à combiner des plans pour le lendemain.
Il avait fait le tour de la maison.
Il avait vu la petite porte du jardin et il se disait que par là il réussirait peut-être à entrer.
Lubin, comme la veille, lui servit un excellent souper arrosé de vins supérieurs. Comme la veille d’Assas finit par s’étourdir, et se coucha avec l’espoir de faire au moins de bons rêves puisque la réalité lui était si peu propice.
Malheureusement, il paraît que tout s’en mêlait, car il eut toutes les peines à s’endormir, et lorsqu’il fut enfin endormi, ce furent des cauchemars qui vinrent l’assaillir au lieu des rêves d’amour qu’il avait espérés.
Ces rêves prirent bientôt la consistance de la réalité vivante, visible et tangible.
Il y avait une veilleuse dans la chambre.
Et à son indécise clarté, d’Assas pouvait parfaitement distinguer tous les objets qui garnissaient cette pièce.
Rêvait-il ?… Etait-il éveillé ?… Toujours est-il
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