La Marquise de Pompadour
qu’il avait les yeux entr’ouverts lorsqu’il lui sembla tout à coup percevoir un bruit imperceptible et un mouvement plus imperceptible encore ; bruit et mouvement étaient ceux d’une porte qu’on ouvre avec d’infinies précautions, et cette porte, c’était précisément celle de sa chambre sur laquelle à ce moment son regard était vaguement fixé…
D’Assas sentit le frisson de l’épouvante glisser le long de ses reins.
Il était brave, pourtant, follement brave et téméraire.
Mais, dans l’état d’esprit où il se trouvait, entouré de tout ce mystère impénétrable, dans cette maison qui pouvait être un traquenard pour égorgements nocturnes, à peine éveillé des songes pénibles qui avaient agité son sommeil, il eut la sensation aiguë qu’il allait être tué sans défense possible.
Il jeta un regard vers les pistolets qui étaient restés sur la table… et il allait bondir, lorsque la porte acheva de s’ouvrir et une femme parut !…
D’Assas demeura immobile, les yeux à demi fermés, pris d’une irrésistible curiosité.
Qui était cette femme ? Que lui voulait-elle ?
Elle était enveloppée d’un long manteau noir, et un loup noir masquait son visage.
Elle était arrêtée dans l’encadrement de la porte, et d’Assas voyait briller ses yeux au fond des trous du masque.
Et maintenant, c’était une superstitieuse épouvante qui se glissait jusqu’à son âme !…
Qu’était-ce que cette statue noire ?… De quel enfer sortait-elle ?…
Il eut un long frisson lorsqu’il vit la femme… la statue noire s’avancer vers le lit.
Il voulut se redresser, appeler, crier, ouvrir tout à fait les yeux…
Il se sentit paralysé par l’horreur.
La femme s’avançait les yeux fixés sur lui. Parfois, lorsque le plancher criait, elle s’arrêtait soudain, attendait quelques secondes, puis se remettait en marche…
Enfin, elle atteignit le lit et se pencha doucement en murmurant :
– Pas un geste… pas un mot… ou je paierai de ma vie sans doute l’intérêt que je vous porte… Vous m’entendez, n’est-ce pas ?… faites-moi comprendre que vous m’entendez en ouvrant et en fermant les paupières… mais, au nom du ciel, taisez-vous !…
D’Assas obéit… Il ouvrit et ferma les paupières.
Alors, tandis qu’un prodigieux étonnement enchaînait sa pensée, il sentit que la femme se baissait davantage vers lui… Et d’une voix faible comme un souffle, elle murmura :
– Chevalier d’Assas, n’entrez jamais, ni le jour ni la nuit, sous quelque prétexte qu’on vous y invite, n’entrez jamais dans le petit pavillon qui est en face de celui-ci !… Avez-vous compris ?… Si oui, répétez le même signe…
Pour la deuxième fois d’Assas ouvrit et referma les paupières.
Alors, brusquement, il eut sur le front la sensation étrange d’un baiser à la fois brûlant et glacé…
Il ouvrit brusquement les yeux…
La femme mystérieuse, la statue noire se redressait…
Elle mit le doigt sur sa bouche comme pour lui faire une recommandation suprême… puis, avec la même lenteur, avec les mêmes infinies précautions, elle se retira, atteignit la porte… la ferma… disparut, s’évanouit dans la nuit comme un fantôme…
Pendant de longues heures, le chevalier demeura éveillé, doutant parfois de ses sons, se demandant s’il n’avait pas eu quelque hallucination… Mais non !…
Comme pour répondre par avance à cette question, la statue noire avait laissé dans la chambre un pénétrant parfum de verveine…
Et d’Assas finissait par se demander même comment ce parfum pouvait persister aussi longtemps lorsque, s’étant à demi soulevé sur le coude, il aperçut tout près de lui, sur les couvertures, un mouchoir de fine batiste richement brodé que l’inconnue, en s’appuyant des deux mains, avait dû oublier là…
C’était ce mouchoir qui était imprégné de verveine. Il portait comme chiffre un J et un B entrelacés, surmontés d’une couronne comtale…
– Ne jamais pénétrer dans le pavillon d’en face ! murmura le chevalier. Pourquoi ?… Que s’y passe-t-il donc ?… Et que m’arriverait-il si jamais j’y pénétrais ?…
Il finit à la longue par s’assoupir…
A son réveil, il faisait grand jour.
Il allait sauter à bas de son lit, lorsque, sur la table de nuit, il aperçut un petit papier plié en quatre.
Il l’ouvrit aussitôt et lut ces lignes :
« On vous recommande la
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