La Marquise de Pompadour
rendu un immense service au roi et à d’autres personnages importants…
Suzon palpitait.
Soixante mille francs !…
Son rêve réalisé d’un coup et sans effort !
Elle eut l’intuition très nette que Bernis ne plaisantait pas et qu’il agissait pour le compte de gens redoutables et puissants.
Elle comprit que la fortune passait à sa portée et qu’il fallait la saisir au vol.
Et comme c’était une femme de beaucoup de tête et de volonté sous ses airs de soubrette gentille, elle se décida.
Mais ce ne fut qu’après de longs pourparlers qu’elle capitula ouvertement.
– Il faut vraiment que je vous aime, dit-elle ; vous m’avez ensorcelée, je crois… quand voulez-vous que je vienne ?
– Je ne sais, mon enfant… peut-être demain, peut-être dans huit jours : je viendrai te chercher moi-même.
– Et en attendant ?…
– En attendant, je viendrai ici tous les soirs, et tu m’expliqueras minutieusement en quoi consiste ton service.
– Voudriez-vous me remplacer ici ? s’écria Suzon en riant.
– Peut être ! répondit gravement Bernis.
Bernis, tout étourdi de son succès et presque inquiet d’avoir si rapidement mené à bien une si grave opération, se rendit tout courant à la ruelle aux Réservoirs, et bien qu’il fût très tard, fut mis aussitôt en présence de M. Jacques.
– Monseigneur, dit-il, la petite Suzon est à nous. Elle quittera la maison quand je lui ferai signe. J’avoue même que le prompt succès de cette affaire m’inquiète…
– Soupçonneriez-vous cette fille de jouer avec vous double jeu ? fit vivement M. Jacques.
– Je ne sais trop, Monseigneur. En tout cas, je dois vous prévenir que, si elle nous obéit, cela coûtera un peu cher.
– Combien ? demanda M. Jacques en se rassérénant.
– Soixante mille livres, Monseigneur. C’est énorme, mais…
– Vous avez promis soixante mille livres ?…
– J’ai promis qu’elle les trouverait chez moi le soir où elle quitterait la maison…
– Eh ! que ne disiez-vous cela plus tôt, mon enfant !… Elle viendra. Il est inutile d’y songer davantage. Vous m’aviez parlé d’amour… d’œillades… que sais-je ! Et j’étais quelque peu inquiet. Mais du moment qu’il est question d’argent, tout s’arrange…
– Ainsi, Monseigneur…
– Ainsi, mon enfant, demain les quatre-vingt mille livres seront chez vous. Allez…
– Mais, Monseigneur, j’ai dit soixante et non quatre-vingt…
– Vraiment ? Eh bien ! les vingt mille restant seront pour acheter le papier sur lequel vous écrivez de si jolis vers à M me de Rohan.
Bernis se courba en deux et demanda :
– Vous n’avez pas d’autres ordres à me donner, Monseigneur ?
– Non. Attendre. Vous tenir prêt à faire sortir cette petite de la maison, et à y faire entrer à sa place la nouvelle femme de chambre que vous aurez à conduire… A propos, on me signale la présence à Versailles de M. d’Etioles et d’une façon de secrétaire qu’il traîne après lui… un sieur Damiens… Il faudrait voir ce que veut cet homme.
– M. le Normant d’Etioles ?… Il court après sa femme…
M. Jacques ne daigna pas sourire de cette innocente plaisanterie et demeura glacial.
– Je veux parler de ce Damiens, dit-il. Voyez-le et cherchez à savoir qui il est, ce qu’il veut, où il va…
Bernis salua profondément et se retira léger comme un gueux dans la bourse duquel viennent de tomber 20 000 francs.
– Décidément, se dit-il, la fidélité et le dévouement ont du bon…
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Chapitre 31 MYSTERES
Q uatre jours s’écoulèrent.
Pendant ces quatre journées, Louis XV mena une vie exemplaire, s’occupa des affaires du royaume, joua le soir avec ses courtisans, fut gracieux avec la pauvre reine Marie, gai causeur avec ses poètes, sérieux avec ses ministres, et fit enfin en conscience son métier de roi.
Le soir du quatrième jour, vers dix heures, il se retira dans sa chambre, et il était déjà à demi déshabillé lorsque ses yeux tombèrent sur un papier plié en quatre et jeté sur une table.
Il le prit machinalement, le déplia, le lut et pâlit.
Le billet contenait ces mots :
« M me d’Etioles s’ennuie. Elle est décidée à regagner Paris dès demain. »
– Lebel ! fit le roi. Qui a apporté ce mot ?
– Moi, Sire ! répondit le valet de chambre.
– L’as-tu lu ?
– Non, Sire…
– Qui te l’a remis ?…
– La fille de
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