La Marquise de Pompadour
regretter ma sœur.
– Ah ! Suzon est votre sœur ?
– Oui, madame ; cela se voit d’ailleurs ; nous avons même taille, au point que j’ai pu mettre sa robe, comme madame peut voir… car Suzon m’avait prévenue que madame était difficile pour le costume de ses filles de chambre…
– Suzon m’a dit qu’elle serait absente trois ou quatre jours, reprit Jeanne.
– Oui, madame, c’est pour une affaire que nous avons dans notre pays, près de Chartres. Et comme elle est plus au fait que moi…
– C’est bien ce que Suzon m’a dit, murmura Jeanne. Et pourtant… où ai-je vu cette figure… ces yeux ?… J’éluciderai cela demain matin… Comment vous appelez-vous ? reprit-elle à haute voix.
– Julie, madame.
– Eh bien ! pour ne pas changer les habitudes de la maison, je vous appellerai comme votre sœur : Suzon.
– Si cela convient à madame…
– Oui. Donc, Suzon, ma fille, je me sens fatiguée. Je ne souperai pas. Dans une demi-heure, tu me monteras une tasse de lait, et puis, tu viendras me coucher…
Jeanne, dès cette époque, souffrait en effet de ce mal d’estomac dont elle devait être torturée toute la vie.
Devant l’ordre qu’elle venait de recevoir, Juliette demeura atterrée.
Si M me d’Etioles se couchait tout de suite, le plan si méticuleusement élaboré s’écroulait…
Jeanne remarqua la pâleur soudaine qui avait envahi le visage de la nouvelle femme de chambre.
– Eh bien ! dit-elle, qu’as-tu donc, Suzon ?…
– Rien, madame, rien… fit Juliette qui se hâta de disparaître.
– Voilà qui est assez étrange, pensa Jeanne. Il me semble… que je pressens… je ne sais quelle trahison !… Et Louis qui ne vient pas !… Louis que j’attends en vain !… mortelles journées d’alarmes !… Que fait-il ?… Pense-t-il à moi ?…
Jeanne oubliait que le roi avait juré de n’entrer dans cette maison qu’appelé par elle !
Elle se trouvait dans un singulier état d’esprit.
Le billet qu’avait reçu le roi et qui, comme on l’a vu, lui avait été envoyé par M. Jacques, ce billet, en somme, ne mentait pas… Jeanne s’ennuyait !…
A se voir si bien obéie, elle éprouvait un dépit qui l’énervait ; et si Louis XV avait compté sur cet état de nervosité où l’attente jetait Jeanne, il avait à coup sûr agi en habile homme.
Mais le roi n’en avait pas pensé si long : tout simplement, il n’osait pas !
Et alors que Jeanne se plaisait à lui prêter les plus brillantes qualités de hardiesse, le roi n’était au fond qu’un bon bourgeois assez timide en amour, aimant de préférence les intrigues faciles, et redoutant pour sa paresse la nécessité d’un effort.
Jeanne, de cette tournure d’esprit, n’avait aucune idée.
– Je l’ai peut être trop durement traité ! songeait-elle cent fois par jour en pleurant. Lui qui m’aime tant !… J’ai été cruelle, injuste… O mon roi, mon beau roi, pardonne-moi… pardonne à ton amante !
Ce fut dans cette disposition d’esprit qu’elle reçut tout à coup de Suzon la demande de s’absenter.
Jeanne consentit facilement. Peut-être était-elle enchantée de voir un nouveau visage.
Suzon lui déplaisait ; elle la trouvait sournoise ; elle lui avait surpris des sourires qui l’avaient fait rougir…
Jeanne était donc favorablement disposée pour la nouvelle venue, quelle qu’elle fût.
Mais maintenant qu’elle avait vu Juliette, une vague inquiétude s’infiltrait peu à peu dans son esprit…
L’émotion manifestée par la nouvelle femme de chambre avait redoublé cette inquiétude.
Pourquoi cette émotion, cette pâleur ?
Et surtout, comment se faisait-il que cette femme ressemblât d’une façon si frappante à une personne déjà vue sûrement ?…
Où avait-elle vu cette personne qu’évoquait le visage de Juliette ?…
Elle ne savait. Et le souvenir de la fête de l’Hôtel de Ville ne se présenta pas à son imagination.
Jeanne finit par écarter ses pensées qu’elle jugeait importunes, et, de toutes ses forces, appela l’image du roi.
La pendule, en sonnant huit heures, l’arracha brusquement à ses rêveries.
A ce moment, Juliette entra… Elle semblait plus émue que tout à l’heure encore… plus qu’émue : bouleversée.
Elle déposa sur un guéridon la tasse de lait que Jeanne but d’un trait en l’examinant du coin de l’œil…
– Voyons, fit alors Jeanne en se levant, viens me
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