La Marquise de Pompadour
elle ne saurait que sa pensée suprême avait été pour elle !…
Mourir !… Oui… quelques minutes encore… et ce serait fini… les bourdonnements devenaient plus violents… il comprenait que le sang envahissait le cerveau… que ses tempes se gonflaient à éclater…
A ce moment, son œil rivé au panneau de la porte vit cette porte s’ouvrir.
Dans l’encadrement, une forme blanche, vaporeuse, suave, lui apparut…
Et cette forme s’avançait vers lui…
L’être entier du jeune homme se tendit dans un effort insensé…
Il lui parut qu’un rugissement s’échappait enfin de sa gorge serrée, comprimée comme par des mains de fer… un rugissement de joie folle, immense, délirante…
Car cette forme blanche qui s’avançait vers lui, il la reconnaissait !
C’était elle !…
Elle !… La jeune fille en rose de la clairière de l’Ermitage !…
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Chapitre 8 LE COMTE DU BARRY
C elui que le chevalier d’Assas avait blessé dans la matinée d’un coup d’épée dans l’épaule avait été ramené chez lui par son témoin, le comte de Saint-Germain.
Du Barry habitait en l’île Saint-Louis, à l’extrémité du quai d’Anjou, un antique hôtel dont les fenêtres regardaient la petite île Louvier, sablonneuse et déserte, – simple langue de terre fréquentée le jour par quelques pêcheurs de goujons, sinistre coupe-gorge abri de truands dès que la nuit l’enveloppait de ses voiles.
L’hôtel du Barry était une magnifique demeure, un de ces vastes bâtiments majestueux et sévères, dont un seul vestibule ferait ce que les constructeurs de nos jours, avec une audace ingénue, appellent un grand appartement.
Jadis, vers le milieu du règne de Louis XIV, le feu comte du Barry, père de celui que nous mettons en scène, avait mené grand train de fortune dans cet hôtel : les immenses salons avaient vu se développer sous leurs lambris dorés la pompe de fêtes splendides. Le roi en personne avait assisté à l’un de ces galas où l’on avait donné à Sa Majesté la comédie et une collation qui avait émerveillé M. de Saint-Simon, difficile à contenter pourtant, comme on sait.
Mais maintenant ces salles étaient silencieuses et glaciales.
Peu à peu, les meubles précieux, les tableaux de maîtres, les riches tentures en étaient sortis… vendus pièce à pièce, dispersés dans une rapide ruine.
L’hôtel lui-même était hypothéqué de dettes.
Et lorsque les pas du comte faisaient résonner dans les mornes salons vides d’étranges sonorités, il semblait qu’il éveillât des échos funèbres, comme si cette maison eût été la tombe d’une prospérité défunte.
Dans ces moments-là, une rapide contraction nerveuse fronçait les noirs sourcils du comte et un soupir d’immense amertume gonflait sa poitrine.
Alors il se rappelait sa première enfance écoulée au sein du luxe, de l’opulence et des fêtes, les maîtres qu’on lui avait donnés, la foule des grands seigneurs qui venait, les belles dames qui le caressaient…
Puis son père était mort…
Le comte du Barry entrait alors dans sa dix-huitième année.
Enfant, il avait peu aimé son père ; il avait paru d’un caractère sombre, songeant à des choses qu’il ne communiquait à personne, injuriant ses maîtres, battant ses domestiques.
Jeune homme et maître d’une grande fortune, on sut enfin ce qu’il y avait dans cette tête au front volontaire et quelles pensées l’agitaient.
Sur le cercueil de son père, il ne versa pas une larme ; et à peine ce cercueil fut-il fermé, le nouveau comte dressa un inventaire exact de sa fortune.
Elle était considérable et donnait deux cent mille livres de rente, somme énorme pour l’époque : le comte fit la grimace ; il s’attendait à mieux !
Alors il apparut tel qu’il était : les passions comprimées éclataient avec une violence inouïe ; les vices, d’abord couverts d’un vernis de somptueuse élégance, bientôt débridés en plein emportement de folie, descendaient jusqu’à la plus basse ignominie. Le comte du Barry fut, dans toute la fougue de son impétuosité passionnée, un viveur, un dévoreur, un assoiffé de plaisirs. Tous les plaisirs, il voulut les connaître, et quand il les connut tous, il en inventa de nouveaux. Il étonna Paris. Il scandalisa la cour, jetant l’or à poignées, éventrant, saignant à blanc l’antique patrimoine, conduisant les saturnales dans les salons somptueusement
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