La mémoire des flammes
plusieurs heures de négociations, la capitulation de Paris fut signée.
Les troupes régulières de l’armée française avaient obtenu l’autorisation de se replier. Mais elles devaient évacuer Paris dès le lendemain matin, à sept heures. En revanche, la garde nationale était « totalement séparée des troupes de ligne ». Le texte de la capitulation précisait à son sujet : « (...) elle sera conservée, désarmée ou licenciée, selon les dispositions des puissances alliées. »
Ces ordres circulèrent et, quand ils parvinrent jusqu’aux oreilles de Margont, celui-ci fut consterné. Paris allait être occupé et on lui interdisait formellement d’accompagner l’armée qui allait battre en retraite. Il devait attendre les Alliés dans la capitale et se rendre à eux. Affolé, il s’imagina alors emprisonné. Mais s’il suivait malgré tout l’armée française, il serait mis aux arrêts !
— On n’a qu’à se licencier nous-mêmes ! Plutôt me saborder que d’être coulé par les autres ! décréta Lefine.
Il entraîna Margont et Piquebois chez son amie. Il faisait nuit. Une femme ouvrit une porte. Margont était si épuisé et si démoralisé que son esprit était vide. D’elle il ne vit qu’un magnifique visage aux yeux rougis par les larmes. Elle éclata en sanglots en serrant Lefine dans ses bras. Margont s’allongea par terre, à même le sol d’une pièce, et s’endormit instantanément.
Le 31 mars, dans la matinée, Margont, Lefîne et Piquebois prirent le temps de se laver à grande eau, pour faire disparaître les traces de poudre qui les recouvraient. L’amie de Lefîne était veuve. Ils utilisèrent les vêtements de son époux afin de faire passer pour des civils.
— Il faut trouver Charles de Varencourt ! annonça d’emblée Margont. Il est certainement encore dans Paris !
Lefîne connaissait trop bien Margont pour être surpris par sa réaction : son ami avait besoin de cette enquête. Mais il était partagé entre son désir de l’aider et celui de demeurer sur place pour défendre son amie, au cas où surviendraient des soudards ennemis. Ils convinrent finalement que Piquebois resterait chez elle et s’y barricaderait. Or Piquebois était une lame redoutable : malheur à celui qui l’amenait à dégainer son sabre !
Margont et Lefine sortirent. À quelques rues de là, au coeur du Marais, ils abandonnèrent dans un recoin les deux grands sacs dans lesquels ils avaient entassé leurs uniformes. Ils n’avaient plus leurs armes, remises la veille aux soldats de l’armée régulière qui battaient en retraite. Seul Piquebois avait conservé son sabre, dont il refusait de se séparer, et un pistolet.
Margont spéculait sur l’endroit où allait se rendre l’Empereur. Si lui-même était Varencourt, comment agirait-il ? Attendrait-il dans Paris ? Essaierait-il de profiter de la confusion pour essayer d’approcher Napoléon ? Ce dernier avait-il maintenant été averti ?
Il suivait Lefme sans réfléchir à l’endroit où celui-ci le menait. D’autres passants faisaient mouvement dans la même direction. Ils finirent par arriver sur la promenade des Champs-Élysées, sur les bords de laquelle s’étaient massés un nombre étonnant de Parisiens.
Certains arboraient des cocardes et des brassards blancs ; d’autres agitaient de simples mouchoirs blancs en criant : « Vive Louis XVIII ! » Alors, ce fut le grand défilé des Alliés. Les cosaques de la Garde, écar-lates, venaient en tête. Puis le Tsar, le généralissime Schwarzenberg, le roi de Prusse et le prince de Wurtemberg, tous accompagnés de leurs somptueux états-majors. Deux régiments de grenadiers autrichiens les suivaient, tout de blanc vêtus et coiffés de bonnets à poil, des grenadiers russes aux shakos ornés d’un long plumet noir, les milliers de soldats de la Garde prussienne, ceux de la Garde russe... Ensuite passa une multitude de cuirassiers russes – et encore, et encore, et encore... Les chevaliers-gardes fermaient la marche, en uniforme blanc et cuirasse noire. C’étaient ces cavaliers d’élite qui avaient blessé Piquebois à la bataille d’Austerlitz. Heureusement que celui-ci n’était pas là car, quand il les apercevait, la rage lui faisait perdre la raison...
Margont ne parvenait toujours pas à croire à ce qu’il voyait. Son regard allait et venait de l’Arc de Triomphe en construction à ces lignes de soldats alliés qui défilaient en
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