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La mémoire des flammes

La mémoire des flammes

Titel: La mémoire des flammes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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feu et le jeu. Le jeu est peut-être la seule activité qui soit capable de tenir tête au feu. Grâce au jeu, il ressent des sensations fortes, comme il me l’a lui-même confié. Le jeu emplit temporairement le vide qui est en lui et tient donc le feu à distance, pendant quelques heures... Seule Catherine de Saltonges aurait pu tout empêcher. Avec elle, Varencourt a failli refaire sa vie une nouvelle fois. Elle a trouvé un jour le bouton abîmé et a fini par tout découvrir. Malheureusement, elle n’a pas réussi à triompher du passé de son amant...
    Lefine demeurait sans voix.
    — Où est le Tsar ? lui demanda Margont.
    — Cela fait plus de trois heures qu’il est passé devant nous...
    — Si j’ai raison, c’est maintenant que Charles de Varencourt va mettre son plan à exécution. Parce que c’est le meilleur moment. Tous les Alliés sont encore sous le choc des combats d’hier... Il faut que nous fassions prévenir le Tsar !

 
    CHAPITRE XLV
    Varencourt sortit de son logement de repli. Il s’était attendu à traverser des rues vides, mais point du tout. Des Parisiens, curieux jusqu’à en être aventureux, voulaient voir de près les soldats alliés. On le regardait avec consternation et les civils s’éloignaient de lui. Aurait-il eu le visage rongé par la lèpre qu’on ne l’aurait pas plus évité. Car il arborait un uniforme de major de la garde nationale, ce qui risquait de lui attirer des coups de feu... Pour se le procurer, il avait agi au culot, faisant irruption dans un magasin militaire et montrant la lettre de Joseph. Il avait eu ce qu’il demandait en moins de deux heures.
    Il marchait avec l’assurance de celui qui n’a plus rien à perdre, puisque, dans très peu de temps, il serait mort. Il lançait l’ultime étape de ce plan qu’il tramait depuis des mois, il abattait ses dernières cartes.
    Il perçut des bruits de pas battant les pavés, ainsi que le martèlement de sabots. Une troupe nombreuse. Les Alliés poursuivaient leur déploiement dans Paris.
    Varencourt fit son apparition, levant haut les bras, la lettre de Joseph dans une main et un tissu blanc dans l’autre. Il ne portait aucune arme. Dans l’avenue défilait en ordre impeccable une colonne de Prussiens et de Russes. Des carabiniers russes passaient juste à ce moment-là – guêtres noires, culottes et habits vert sombre, shakos ornés d’un long plumet noir. L’irruption de cet « officier français » sema le désordre. Des fantassins tournèrent la tête, mais continuèrent à marcher, comme s’ils n’en croyaient pas leurs yeux ; d’autres rompirent les rangs et encerclèrent Charles de Varencourt en le mettant en joue ; deux capitaines survinrent, sabre au clair ; des mousquetiers qui suivaient se déployèrent dans les rues, faisant s’enfuir les badauds parisiens comme s’envolent des pigeons...
    — Je suis un messager ! Je ne suis pas armé ! expliqua posément Varencourt en russe.
    Qu’un seul homme tire et il s’effondrerait. Mais cette éventualité ne l’effrayait pas. Les morts ont-ils peur de mourir ? Au contraire, au fond de lui, il jubilait, tel le mathématicien qui teste enfin l’équation qu’il a passé des mois à mettre au point.
    Aucun coup de feu n’éclatait. Ce Français brandissait un drapeau blanc et il n’avait aucun geste hostile. En outre, il s’agissait d’un officier supérieur : celui qui l’abattrait aurait des comptes à rendre à sa hiérarchie. Enfin, il parlait russe... comme un vrai Russe !
    Un chef de bataillon vint placer son étalon devant Varencourt. Ce dernier lui dit, toujours en russe :
    — Je suis le major Margont. Le roi d’Espagne Joseph I er , frère de notre empereur, Napoléon I er , m’a chargé d’une mission. Je dois voir immédiatement le Tsar.
    Il tendait la lettre. Le chef de bataillon eut un geste de la tête en direction d’un capitaine qui chevauchait à ses côtés. Celui-ci prit vivement le document et le parcourut avant de le traduire à son supérieur.
    — Vous parlez très bien russe, fit remarquer ce capitaine.
    — J’ai fait la campagne de Russie. J’en ai profité pour apprendre quelques rudiments de votre langue.
    Ces seuls mots de « campagne de Russie » suffisaient à excéder les Russes. Et c’était là le but recherché par Varencourt. Oui, ces soldats l’ignoraient, mais ils étaient les premières herbes auxquelles il mettait le feu. Il était trop tôt pour que ce foyer

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