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La mémoire des flammes

La mémoire des flammes

Titel: La mémoire des flammes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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j’avais bien appris la leçon. Pourtant, depuis peu, il avait l’air de commencer à vous accepter. Puis il m’a annoncé la mort de Kevlokine. C’est cet événement qui a changé la donne. Ça et l’arrivée des Alliés.
    Ils avaient fait quelques pas et s’arrêtèrent au niveau du jardin des Tuileries, qu’une grille élégante séparait de la rue de Rivoli et qui retentissait de cris de joie. Des couples de soldats et de belles s’y promenaient, riaient, échangeaient des promesses ; des attelages somptueux passaient au petit trop ; tout juste arrivés à Paris, des dragons d’Espagne – ces combattants d’élite que la guérilla espagnole elle-même craignait et surnommait les cabezas de oro, les « têtes d’or », en raison de leurs casques en cuivre doré – étaient les héros du jour... Ceux qui croyaient en la victoire venaient se montrer sous les fenêtres du palais des Tuileries, où siégeait le gouvernement impérial, raillant les « peureux » et affichant leurs convictions. Spectacle étrange... C’était comme si, ici, le temps s’était arrêté. On était fin mars 1814, excepté aux Tuileries, où brillait tous les jours le soleil d’Austerlitz.
    Margont demeurait silencieux. Il ignorait si Louis de Leaume avait appris que l’on avait retrouvé l’emblème des Épées du Roi sur la dépouille du comte Kevlokine. Seulement, poser directement la question à Varencourt, c’était courir le risque de lui révéler des informations qu’il ignorait.
    — La suite ! finit-il par dire.
    — Je ne sais rien de plus ! Vraiment, je vous le jure !
    — Soupçonne-t-il l’un des membres de son groupe ?
    — Mais pourquoi dites-vous cela ? Cela n’a pas de sens... On ne tire pas sur son propre camp !
    — Vous le faites bien, vous !
    Varencourt se froissa de cette remarque.
    — Je crois vraiment que vous devriez disparaître... conseilla-t-il à Margont. Mais après la rencontre de ce soir ! Si vous fuyez maintenant, ils se rendront compte de votre absence dès la fin de la journée. Alors tous les soupçons se porteront sur vous avant de ricocher sur moi, puisque c’est moi qui vous ai introduit. Tandis que si vous filez après la réunion – et moi de même –, il leur faudra plus de temps pour s’en apercevoir et nous pourrons mettre une plus grande distance entre eux et nous. Oui, en y réfléchissant bien, c’est ainsi qu’il faut procéder...
    Il faillit empoigner Margont par le bras, mais se ravisa.
    — Faites ce que vous voulez, bougre d’entêté. Je ne vous demande qu’une seule chose : quand vous déciderez de disparaître, avertissez-moi ! Ou vous aurez ma mort sur la conscience. Or vous en avez une, de conscience, et une belle. Jurez-moi que vous me ferez alerter si vous vous retirez du jeu !
    — Si un tel cas de figure se produit, j’essaierai de vous avertir.
    Son interlocuteur ne paraissait guère soulagé. Quelque chose semblait lui avoir fait perdre son sang-froid. Or c’était un joueur expérimenté et doué. Ses explications ne suffisaient pas à justifier un tel trouble chez lui. Et sa peur avait quelque chose de théâtral. Lorsqu’il avait failli empoigner Margont, sa façon de bafouiller par moments, ses suppliques... Était-il aussi effrayé qu’il voulait le paraître ? Ou cette peur était-elle un voile destiné à dissimuler son véritable état d’esprit ? Plus on était franc avec Charles de Varencourt, plus il semblait vous mentir.
    — Où étiez-vous la nuit où Châtel, Leaume et Nolant ont fait irruption chez moi pour m’obliger à utiliser mon imprimerie ?
    — Je ne sais rien de tout cela...
    — Quelqu’un a inspecté mon logement, le soir même de ma première rencontre avec eux.
    — Ce n’est pas étonnant... Une précaution bien inutile, d’ailleurs. Qui serait assez bête pour laisser des choses compromettantes chez lui ? Nous sommes fouillés, suivis, surveillés... Par les autres et par les nôtres ! On apprend à vivre avec...
    — Qui est l’amant de Catherine de Saltonges ?
    Varencourt rougit. Sa bouche s’ouvrit, mais il se trouva incapable de répondre. Il suffoquait, plutôt. On aurait dit un goujon brusquement tiré hors de l’eau par un hameçon et jeté sur la grève.
    — Je ne... me mêle pas de ce genre de choses...
    Il était vraiment mal à l’aise. Était-il amoureux de cette femme ?
    — Laissez-la donc en dehors de toutes ces histoires, finit-il pas dire. Elle a

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