La mémoire des flammes
peu connu, dont n’ont entendu parler que les médecins, les explorateurs qui s’intéressent à l’Amazonie et, peut-être, une partie des Portugais qui se sont réfugiés au Brésil. Troisièmement, le bouton ! Je vais y venir dans un instant.
— Des études de médecine en russe ? s’étonna Palenier.
— Non, en latin et en français. De nombreux ouvrages de médecine sont en latin, qu’a certainement appris Charles de Varencourt. En France, certains cours de médecine sont encore dispensés dans cette langue et il en va de même dans bien d’autres pays, dont probablement la Russie. C’est une vieille manie européenne. Moi-même, j’ai eu droit à des leçons de théologie en latin, mais c’est une autre histoire... En outre, l’aristocratie russe parle couramment notre langue. Avant la Révolution, puis la campagne de Russie, notre culture était très estimée, là-bas. Le français était considéré comme la langue noble et le russe, comme celle du peuple. Les gentilshommes s’exprimaient en français durant les repas, on assistait à des pièces de Marivaux et on lisait Voltaire et Rousseau dans le texte original... Varencourt avait donc la possibilité de poser des questions à ses maîtres dans sa langue natale et il a pu sans trop de mal se procurer des traités de médecine en français.
— Je confirme que bien des nobles russes parlent français, dit Lefine. Nous avons fait la campagne de Russie, nous, monsieur !
Palenier ne le crut pas. Des survivants de la campagne de Russie ? Allons donc ! Hormis l’Empereur et ses maréchaux, tout le monde était mort, là-bas.
— Où aurait-il trouvé l’argent nécessaire ?
— Il avait dû emporter quelques biens, ce qu’il avait pu sauver. Il a refait sa vie là-bas. Il a dû nouer des relations. Il s’est marié. J’émets l’hypothèse que sa belle-famille appartenait à la noblesse ou à la bourgeoisie et l’a aidé à financer ses études, puis son installation.
— Comment pouvez-vous...
— J’y viens ! Varencourt a donc fini par réussir ! Sa première vie ayant volé en éclats, il a eu la force de tout reconstruire. C’est là que tout a une nouvelle fois basculé, en 1812, quand la Grande Armée s’est lancée à l’attaque de la Russie. Vous imaginez sans peine l’état d’esprit de Charles de Varencourt... Cette Révolution qui avait détruit sa première vie, la voilà qui le menaçait une nouvelle fois, maintenant sous la forme de cet « Empire républicain » ! Cette campagne de Russie, ce fut quelque chose ! Comme mon ami vous l’a dit, nous l’avons faite.
— 84 e de ligne ! précisa Lefine. Et la Grande Redoute de la Moskova, nous y étions ! Oui monsieur !
— Quand nous sommes arrivés à Moscou, la ville n’était pas entièrement vide. Presque tous les habitants russes avaient fui et une partie des étrangers avaient été expulsés auparavant par le comte Rostopchine, le gouverneur général de la ville. Mais étaient restés, entre autres, des Italiens, des Russes d’origine française, quelques Français... Ceux-là nous ont raconté que les Russes se méfiaient d’eux, les considéraient comme des espions, des traîtres... Plusieurs avaient subi des insultes, des menaces, des agressions physiques. Voilà ce qui a dû arriver à Varencourt. Il devait se sentir plus russe que français, car la France impériale, il la hait. Mais on l’aura pris à partie. Ses amis auront cessé de lui adresser la parole, on ne sera plus venu le consulter... Plus nos armées progressaient, plus les manifestations antifrançaises devenaient virulentes. Alors, qu’auriez-vous fait pour prouver à tous votre patriotisme russe ? Quel moyen auriez-vous trouvé pour calmer la populace avant qu’elle n’enfonce votre porte pour dévaster votre maison et brutaliser votre famille et vous-même, si ce n’est pire ?
Palenier ne voyait qu’une réponse.
— Je me serais engagé dans l’armée et je serais allé voir tous mes amis et voisins en uniforme.
Margont exhiba le bouton.
— C’est exactement ce qu’il a fait. Il s’agit d’un bouton d’uniforme orné de l’emblème de la milice de Moscou.
Lefine lui prit l’objet des mains, devançant les doigts tendus de Palenier. Oui, bien sûr, maintenant qu’il avait la réponse, cela lui paraissait clair.
— Comment pouvez-vous affirmer qu’il s’agit du symbole de la milice de Moscou ? interrogea Palenier.
— Parce
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