La mémoire des flammes
qu’on la connaît bien, vu qu’elle nous a tiré dessus ! rétorqua Lefine. Tout au long de la retraite et à la bataille de la Berezina. Cet emblème ornait les toques, les chapeaux en feutre, les casquettes et les shakos des miliciens de Moscou. Puisqu’on vous dit qu’on a fait la campagne de Russie !
— C’est ce bouton militaire qui prouve que Charles de Varencourt est effectivement médecin, précisa Margont. Il n’est pas réglementaire. L’uniforme dont il est issu était certainement à son image – magnifique ! ― et appartenait donc obligatoirement à un officier. Car la majorité des miliciens non gradés portaient des vêtements civils, caftans ou grands manteaux gris, verts ou beiges. Seul l’emblème sur leurs coiffes, leurs havresacs et leurs armes – quand ils en avaient... ― leur donnaient une allure de soldats. Les officiers, en revanche, étaient en uniforme. Varencourt s’est fait faire un somptueux uniforme non réglementaire, ce qui est toléré par toutes les armées, toujours heureuses de voir des soldats se vêtir à leurs frais, a fortiori quand il s’agit de miliciens, les laissés-pour-compte du système militaire. Il le voulait voyant ! « Regardez-moi ! Je suis maintenant officier dans l’opoltchénié de Moscou ! N’est-ce pas la preuve de ma loyauté envers la Russie ? » En Autriche, en France, on retrouve ce même principe qui veut que les miliciens qui s’équipent eux-mêmes soient mieux considérés que les autres. Personne n’a vraiment confiance dans les gardes nationaux français, qui font pourtant de leur mieux. En revanche, tout le monde acclame les gardes d’honneur. Mais qu’est-ce qui différencie les seconds des premiers ? C’est qu’ils se sont très bien équipés, sur leur fortune personnelle, et qu’ils exhibent d’éclatants uniformes à la hussarde ! Du coup, ils ont droit à tous les honneurs et l’Empereur les a même versés dans la Garde impériale. Cependant, je reconnais qu’ils font preuve de beaucoup de courage...
Palenier secouait la tête.
— Au vu de ce que vous nous avez raconté, il est impossible qu’un Français, établi à Moscou depuis quelques années seulement, soit promu officier de la milice russe, alors que celle-ci va aller justement combattre les Français. Simple soldat, oui, mais officier...
— Et pourtant, seul un officier est autorisé à arborer un uniforme luxueux. Aucune armée n’accepte qu’un simple soldat soit mieux vêtu que ses supérieurs. Un élément a fait que, quand Charles de Varencourt s’est engagé dans la milice, les Russes ont été absolument obligés de le nommer officier. C’est parce qu’il était médecin ! Dans toutes les armées d’Europe, un médecin a obligatoirement un grade équivalent à celui d’officier. Aucun règlement ne prévoit un cas de figure de « soldat médecin ». Ou bien on ne l’acceptait pas – mais on avait un besoin crucial de médecins ! –, ou bien on le prenait et il devenait ipso facto officier de santé, c’est-à-dire l’équivalent d’un lieutenant, ou peut-être même d’un capitaine ! On a été d’autant moins réticent à l’accepter qu’il serait un non-combattant.
Margont marqua une pause. Il songea qu’il partageait un point commun avec son adversaire. La combativité ! Une fois de plus, face à des événements hostiles, Varencourt n’avait pas baissé les bras, il ne s’était pas lamenté sur l’injustice de son sort. Il avait fait face.
— Varencourt pensait avoir trouvé la solution parfaite, reprit-il. Imaginez-le marchant dans Moscou, vêtu de son uniforme mirobolant, les soldats russes se figeant au garde-à-vous sur son passage pour le saluer... La contre-attaque imparable ! Ah, comme vous le disiez, monsieur Palenier, moi aussi, si j’avais été lui, je me serais rendu chez les voisins qui m’avaient insulté et craché au visage. Et, tout en dégustant du regard leurs faces blêmes, je leur aurais demandé quand ils allaient s’engager à leur tour dans la milice ! Varencourt était devenu plus russe que les Russes ! Il faut se replacer dans l’esprit de cette période. Les Russes étaient convaincus qu’ils allaient écraser la Grande Armée, qu’il était impossible que les Français parviennent jusqu’à Moscou. Nous avions déjà beaucoup souffert de notre longue marche, des combats et du harcèlement incessant des cosaques. Tandis que nos adversaires s’étaient
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