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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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vent. Son regard alla vers l’ouest, vers Billancourt, trop éloigné pour que l’on puisse distinguer le bastion de Renault. Il ressentit un malaise en s’apercevant que Claudine et les enfants se perdaient derrière ce brouillard qui recouvrait la Seine.
    Dès que Flora lui ouvrit la porte de l’atelier et qu’elle apparut dans cette robe de soie blanche qui lui dénudait les épaules, ses cheveux blonds toujours coupés à la garçonne, les jambes gainées dans des bas couleur chair, il eut l’impression de basculer dans un autre monde, ce monde trouble et perverti dans lequel elle semblait se mouvoir avec tant de facilité. Il se précipita vers la grande baie vitrée qui surplombait Paris, comme pour se jeter dans le vide, échapper à Flora. Il la devinait derrière lui. Il flairait son odeur qui n’était plus celle de la petite fille aux poissons, mais une senteur de femme de riche, aux parfums lourds. Il n’entendit sa voix gouailleuse qu’à travers une sorte de murmure cotonneux. Il l’entendit prononcer Belleville. Comme il ne réagissait pas, elle le prit par le bras, lui indiqua vers l’est une masse de maisons chaotique et le sommet des arbres aux Buttes-Chaumont.
    — Es-tu retourné à Belleville ?
    — Quand je suis revenu de Russie, je t’y ai cherchée. La maison de Victor et de Rirette n’existait plus. Depuis, non, je m’arrête en chemin, au cimetière du Père-Lachaise.
    Il voulut parler de Makhno, de Barbusse, mais Flora ne savait sans doute pas qui ils étaient. À quoi bon ? Il se tourna vers Flora, la dévisagea. À chaque fois qu’il la revoyait, sa petite taille l’étonnait. Sa tête n’arrivait qu’au milieu de la poitrine de Fred. Elle levait vers lui ses yeux bleus. Leur maquillage était plus discret qu’à Montparnasse, plus nuancé.
    — Regarde, dit-elle en pivotant, j’ai tout acheté, tout, les murs de l’atelier et ce qu’ils contenaient, les tableaux, moi-même. La seule manière de me débarrasser de mon Jules. Ce qu’il pouvait être collant, celui-là ! Mais il baisait comme un dieu. Ça demande quelque considération.
    Fred examinait les peintures. Il identifiait celles de Baskine, accrochées dans de beaux cadres. L’autre peintre, l’ancien propriétaire de ce local, avait laissé dans les lieux une odeur d’huile un peu rance, qui semblait tout imprégner.
    — Ne cherche pas les peintures de mon Jules, reprit Flora, j’ai tout bazardé en même temps que lui. À l’hôtel Drouot, comme des fripes. J’en ai pas retiré gros. Juste de quoi m’offrir ça…
    Elle montrait le portrait d’un petit pâtissier, tordu, d’un blanc crayeux. Fred trouva ce tableau d’une laideur incroyable.
    — Soutine, dit Flora. Rappelle-toi ce nom. Si je ne fais pas la connerie de le revendre trop tôt, il vaudra des millions.
    Fred tomba en arrêt devant un nu, hiératique, une jeune femme grave, aux yeux bleus, et aux lèvres roses comme une langue de chat. Il reconnut Flora, gêné par l’étalement de cette nudité.
    — Oui, c’est moi, s’écria Flora, amusée. J’ai aussi été modèle de Foujita. Maintenant, je lui négocie des tableaux. Germinal t’a dit, je ne suis plus modèle. J’ai grimpé à l’échelon supérieur. C’est moi qui paye les peintres. Je fraye avec tout le monde… les collectionneurs, les marchands… J’ai la bosse du commerce. Sans doute que je tiens ça de mes poissonniers de parents.
    Elle regarda Fred d’un air ironique.
    — Tu es célèbre dans ta partie, m’a dit Germinal. Tu ne travailles plus à l’usine. Combien ça te rapporte, tes écritures ?
    — Un peu moins que du temps où j’étais ajusteur, mais ça va, je ne me plains pas.
    — Pauvre pomme ! Tu n’as pas changé. Toujours tes maudits livres. Rêveur, va !
    Elle ouvrit un joli meuble marqueté, en sortit des bouteilles.
    — Que veux-tu boire ?
    — Je ne bois pas d’alcool.
    — Je connais ta chanson. Germinal, qui ne crachait pas sur le rouge, ne boit plus que de l’eau depuis qu’il fréquente tes copains. Savez-vous que vous n’êtes pas amusants avec votre vertu ?
    Fred haussa les épaules. Il examinait le grand atelier, s’arrêtant devant certaines peintures, ces peintures étranges comme des énigmes et qu’il interrogeait. À mi-hauteur de la pièce, une loggia s’avançait.
    — Qu’est-ce qu’il y a, en haut ?
    Flora hésita, sourit, un peu narquoise.
    — Seulement des aquarelles, encadrées, très

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