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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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guère son destin que dans l’imaginaire de quelques utopistes, devenait réalité sociale.
    Galina représentait bien cette réalité sociale ; fille de la révolution, heureuse et fière de l’être. La révolution était comme ces auberges où chacun peut apporter son manger. Chacun y cherchait le moment d’échapper à sa propre aliénation. La révolution apportait la liberté, mais quelle liberté ? Liberté pour les paysans de s’approprier la terre. Liberté pour les ouvriers de s’approprier les usines. Pour Galina, la révolution donnait aux femmes la liberté de leur corps et l’égalité des sexes. Le gouvernement bolchevik ne comptait-il pas parmi ses ministres (ses commissaires du peuple) une femme, et quelle femme, cette Alexandra Kollontaï dont Galina ne cessait de parler à Fred avec tant d’admiration !
    Fille d’un général du tsar, Alexandra Kollontaï, menchevik avant la Révolution, puis membre du Comité central du parti bolchevik dès 1917, avait publié plusieurs ouvrages où elle annonçait la désagrégation de la famille traditionnelle dans la société communiste, dénonçait le mariage comme instrument d’oppression de la femme et préconisait une « école de l’amour « où auraient été enseignés « l’amour jeu » et « l’amitié érotique ». Un tel programme ne l’empêchait pas d’être commissaire du peuple à l’Assistance publique, bien qu’il effarouchât le machisme de plus d’un de ses collègues. Peut-être choquait-il aussi un peu Fred qui ne manifestait aucun enthousiasme à rencontrer Alexandra Kollontaï, comme Galina le lui proposait avec trop d’exaltation.
    Pourtant, mis en présence de la commissaire du peuple à l’Assistance publique, il fut immédiatement conquis par cette femme qui unissait deux qualités souvent antagonistes : l’énergie et le charme. Alexandra Kollontaï avait alors près de cinquante ans. Avec son visage ovale, ses yeux clairs, sa petite bouche, elle paraissait encore jeune et demeurait fort belle. Coiffée court, la poitrine moulée dans un élégant tricot mauve, elle regardait Fred et Galina avec une sympathie amusée. Amusée par leur jeunesse et leur amour.
    Ce « ministre » ne ressemblait à aucun des autres dirigeants bolcheviks. Son élégance, l’aisance de ses gestes, auraient pu lui donner un air anachronique, relié à l’Ancien Régime. Bien au contraire, plus Fred la contemplait, pendant qu’elle parlait avec Galina, plus il la voyait comme une femme de l’avenir. En même temps, cette familiarité entre Galina et celle que cette dernière considérait comme un modèle, le troublait. Galina, à la fois possessive et rétive, prenait dans la vie de Fred un rôle envahissant, tendait à l’accaparer tout entier, à en faire sa chose, tout en se dérobant elle-même. Comparée à Flora, si nature, si impulsive, si peu compliquée, Galina lui paraissait souvent incompréhensible. Il se mit à lire les ouvrages d’Alexandra Kollontaï, La Nouvelle Morale et la classe ouvrière, La Famille et l’État communiste. « L’État communiste ! » Comment se permettait-elle d’écrire un terme aussi absurde ! Le communisme ne se proposait-il pas d’autre but que de détruire l’État ?
     
    La carrière politique d’Alfred Barthélemy atteignit son sommet en Russie, en juillet 1920, lors du II e congrès de la III e Internationale. Il n’avait pas réussi à faire bouger Monatte et Delesalle, mais la tendance anarcho-syndicaliste était représentée par Alfred Rosmer, le parti socialiste par Cachin et Frossard. Trotski manifestait sa joie devant l’arrivée de Rosmer, l’un de ses amis français du temps de l’exil. Quant à Lénine, passant outre à son mouvement de mauvaise humeur, il félicita Fred d’avoir obtenu une première allégeance parmi les « idiots utiles » : Georges Sorel venait de publier un vibrant Plaidoyer pour Lénine.
    L’organisation de ce II e congrès de la III e Internationale ne s’était pas réalisée sans mal. Les partis socialistes occidentaux, qui se considéraient comme les seuls héritiers de la pensée marxiste, se moquant de ce Lénine qui, disaient-ils, ne faisait que du blanquisme à la sauce tartare, se montraient fort réticents à entreprendre le voyage à Moscou. Boukharine, furieux de l’absence de Longuet (Jean Longuet qui, en tant que petit-fils de Karl Marx et ami de Jaurès, eût constitué un si beau symbole !) s’en prit,

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