Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
Joseph.
    Ils n’étaient pas sitôt entrés
    Que le boucher les a tués,
    Les a coupés en petits morceaux,
    Mis au saloir comme pourceau.
    Joseph dut déranger une dizaine de matrones exaspérées, écraser des pieds, se répandre en excuses et se ruer vers la sortie, son héritière hurlante sous le bras, pendant que la chanson se poursuivait.
    Seule la vue des élèves fuyant l’école de garçons de la rue Madame pour aller déjeuner chez eux mit fin aux sanglots de Daphné, soudain passionnée par ce flot de fantoches en chair, en os et en culottes courtes. Une brioche dorée accrut son bonheur, son père essuya ses dernières larmes et s’octroya enfin une pause devant l’église Saint-Germain-des-Prés.
    « Et ça prétend distraire les moutards ! Ce sinistre emplâtre mériterait qu’on… Mince, mais c’est l’air que j’ai entendu dans la baraque de la rue Corvisart, La Légende de saint Nicolas  ! Ah, l’affreuse comptine de maman qui m’a flanqué tant de cauchemars ! Quel crétin je suis de ne pas avoir trouvé plus tôt ! »
    Il s’accroupit à la hauteur de Daphné.
    — Tu sais, ma chérie, ça se termine bien, ce pataquès. Tu veux que je te le chante ?
    Petits enfants qui dormez là
    Je suis le grand saint Nicolas.
    Et le saint étendit trois doigts,
    Les petits se relèvent tous trois !
    « Et toi, mon poussin, tu vas aller manger ta bouillie avec maman et faire un gros dodo !
    — Pas dodo ! protesta Daphné. Cor paquès, fait jour !
    Joseph se releva. Il entendait sa propre respiration, il était essoufflé comme s’il avait escaladé un escalier en courant.
    Jours, jours, jours… Verberin leur avait affirmé que Bringolo s’était installé rue Corvisart à la mi-août. L’archange, qu’il sillonnait la Butte-aux-Cailles depuis vingt jours. Ou bien ces deux lascars n’avaient aucune mesure du temps écoulé, ou bien l’un des deux mentait. Si Bringolo était encore dans le secteur, il pouvait être porteur de la maladie du charbon, et alors là…
    « Est-ce lui que j’ai entendu siffler ? Verberin affirme qu’il a disparu. Où est la vérité ? J’ignore l’adresse de Verberin, reste l’archange. Je dois en avoir le cœur net. »
     
    Quatre versions de la même histoire, chacune enjolivée de détails supplémentaires, furent dévidées avant que Daphné ne consentît à sombrer dans une sieste. Elle avait pris goût à ce récit et s’accommodait sans réticence du funeste destin des trois jeunes victimes du boucher, puisque en définitive saint Nicolas en recollait les morceaux et leur insufflait la vie. Alors qu’importait qu’ils fussent tranchés en quatre, huit ou douze rondelles !
    Le docteur avait conseillé du repos. Un baiser hâtif à sa femme alanguie sur une méridienne précéda le départ de Joseph. Iris soupira. Elle se sentait délaissée. Un brusque découragement pesait sur elle.
    Était-elle donc venue au monde pour cette vie végétative où ses seules distractions consisteraient à broder des napperons dans l’attente d’un prochain enfant ? Deviendrait-elle semblable à ces femmes, déformées par des grossesses successives, qui potinaient dans les salons de leurs amies à l’occasion de leur « jour » ? Quand elle était pensionnaire à Londres puis à Saint-Mandé, elle avait espéré un avenir plus captivant que celui de mère de famille. Elle voyagerait, elle explorerait des contrées lointaines, elle deviendrait célèbre. Son pragmatisme avait eu raison de ces enfantillages, et lorsque Joseph était apparu, elle avait accepté avec joie d’unir sa vie à la sienne. La naissance de Daphné l’avait comblée. Elle adorait sa fille, elle jouait avec elle comme avec une poupée. Mais elle savait à présent que ces joies s’accompagnaient de contraintes et même de corvées. Allait-elle être de taille à les subir de nouveau ? Supporterait-elle ces cris, ces pleurs, cette récurrence de soins à prodiguer ? Partagerait-elle avec l’enfant à venir l’amour exclusif qui l’unissait à Daphné ? A la pensée qu’au futur bébé en succéderait un autre, puis un autre encore, elle serra les dents. Euphrosine la régenterait davantage d’année en année, lui imposerait ses récriminations, ses critiques et sa loi. Eh bien, non !
    Un bref instant, le souvenir de la sollicitude trop vive déployée à son égard par le peintre Maurice Laumier se teinta d’une pointe de regret. Elle aimait profondément

Weitere Kostenlose Bücher