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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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empocha son Pocket Kodak. Après avoir déambulé deux heures au hasard des rues, l’esprit encombré de pensées relatives à la mort d’Alexandrine Piote, il eut faim. Il piétinait près de l’église SaintPhilippe-du-Roule. Plutôt que de privilégier un de ces restaurants chics qu’il appelait « à ronds de jambe », il choisit un estaminet fréquenté par des cochers de fiacre. Un menu complet, potage, tomates persillées, côtelette de mouton-purée, entremets, compote, ne l’allégea que de quarante sous. Accoudés au zinc, les clients lui jetaient des regards obliques en trempant le pouce dans un bol de panade. Le garçon, qui balayait la sciure sur le carrelage entre des pots de fusains, se penchait parfois par-dessus son épaule comme s’il espérait deviner pourquoi ce client élégamment vêtu l’honorait de sa présence.
    Victor préféra fuir et marcher jusqu’au Napolitain , au numéro 1, boulevard des Capucines, afin d’y savourer son café. Un homme à monocle et cheveux longs s’écroula près d’un personnage corpulent aux allures de prophète, dont l’énorme serviette de cuir occupait un siège. Il reconnut le critique Ernest La Jeunesse et l’écrivain Catulle Mendès. Pendant qu’un serveur obséquieux déposait sur leur table cirée des glaces et des quarts d’eau gazeuse, ils échangeaient les derniers ragots du monde littéraire. Désignant le café-restaurant Américain sis sur le trottoir opposé, Catulle Mendès fit allusion à Aurélien Scholl, chroniqueur dont ce lieu était le domaine.
    — Connaissez-vous sa repartie à un financier de mes amis ? « Voulez-vous que je vous indique une affaire superbe ? Acheter les consciences au prix qu’elles valent et les revendre à celui qu’elles s’estiment ! »
    Victor prisa ce trait. Il eût aimé en entendre davantage, mais un attroupement interrompit les conversations. Il se leva et rejoignit la foule massée autour d’un véhicule à pétrole en vis-à-vis à roues légères équipées de pneus Dunlop. Le propriétaire, noyé dans une pelisse de fourrure, masqué de lunettes fumées, exhibait un sombrero et une pipe de porcelaine.
    — Le baron de Weber, chuchota Victor.
    Le vieil excentrique expliquait aux badauds que son automobile, conçue par Édouard Rochet et Théodore Schneider, était dotée d’un système d’éclairage constitué de deux lanternes à bougie et atteignait la vitesse record de 35 kilomètres à l’heure.
    — Une de ces machines s’est hissée jusqu’au col du Galibier, ce qu’aucune voiture sans chevaux n’avait réussi auparavant !
    Des percherons qui, non loin de cette merveille, mâchonnaient leur avoine, n’en parurent nullement affectés. Admiratif et envieux, Victor examinait le métal chromé qu’il eût volontiers caressé du plat de la main. Il recula de quelques pas et son regard accrocha la devanture d’une parfumerie. N’était-ce pas celle où il avait acheté du benjoin et le fameux Sourire des Indes au ruban vert de la maison Romant ? La silhouette lasse de Georges Feydeau se découpa un instant devant les vitrines où il fut abordé par un individu aux gestes saccadés, vêtu d’une vareuse rouge. Victor identifia le photographe Félix Tournachon, dit Nadar, dont il admirait les travaux et avec qui il eût apprécié de s’entretenir. Mais une désagréable association d’idées le ramena à sa visite à Hans. Ses soupçons se pressaient au galop. Il s’efforça en pure perte de les pulvériser sous la carcasse métallique pétaradant au nez des curieux. La perspective de devoir patienter jusqu’au soir avant de discuter du sculpteur allemand avec Tasha lui noua l’estomac. Mieux valait poursuivre son errance à travers la ville que de se claquemurer rue Fontaine.
     
    Jean-Pierre Verberin s’était tassé à l’angle du salon de coiffure. Il pouvait ainsi observer sans être vu Lucy Grémille, dont il n’apercevait que la moitié gauche du visage et les mains agitant de minuscules ciseaux. Elle s’empara d’un pinceau qui peignit de rose les ongles d’une cliente plus maigre qu’un coucou. Puis elle sautilla derrière la chaise, armée d’une brosse et de peignes aux dents aiguës. Pendant ce temps, le patron plongeait les index dans un pot de crème et frictionnait la tignasse rebelle d’un petit homme qui cherchait vainement à lui échapper et put enfin se gratter frénétiquement le crâne.
    Comment attirer l’attention de la jeune

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