La momie de la Butte-aux-cailles
Joseph et n’envisageait pas de le tromper, mais elle déplorait de ne plus avoir à repousser d’hommages masculins. Elle comprenait mieux pourquoi Kenji éprouvait le besoin de plaire aux femmes : exercer une séduction sur autrui renforce la confiance que l’on a en soi.
Elle se leva, déterra le cahier de contes, unique remède à son exaspération, et laissa courir sa plume sur le papier :
Blackie expliqua à Shorty qu’un chat à neuf queues ne résoudrait en rien son problème, car il s’agissait tout bonnement d’un fouet utilisé dans la marine à voile pour châtier les matelots rebelles…
Le restaurant À la soupente garnie , toujours fermé, attestait que l’époux de la défunte Adélaïde Lesueur n’avait plus le cœur à l’ouvrage. Dans sa hâte d’atteindre l’atelier de Michel Forestier, Joseph dérapa sur un monceau d’épluchures et évita de justesse un tas de fumier. Un essaim de poules s’éparpilla en caquetant pendant que des commères glapissaient de fenêtre à fenêtre.
— Quel gugusse ! Il est fin soûl !
— Dans les brindezingues, ouiche ! Hé, le poivrot ! Décarre ou j’te secoue les puces !
Il se précipita vers une cour étroite et se tapit derrière une barricade d’édredons tachés et de vieilles carpettes calfatées de couches en charpie. Lorsque le calme régna, il gagna la rue Michal. Dépasser une boutique d’emballeur, une boucherie, une plomberie, contourner un camion qui bloquait la chaussée, éviter une aïeule sommeillant sur le pas de sa porte, tels furent les préalables de sa réussite.
Livrés à eux-mêmes, les apprentis Gaston et Armand s’étaient d’abord hissés sur des troncs d’arbres où ils avaient fumé puis jonglé avec des balles. S’ensuivit un concours de grimaces sous la surveillance réprobatrice de saint Nicolas et de sainte Rose de Lima. Puis, lassés, ils entamèrent une partie de quinet. Un piquet aux extrémités pointues avait été posé devant le porche. À tour de rôle, les gamins le frappaient afin de le projeter le plus loin possible. Quand Joseph déboula, Gaston faillit l’éborgner.
— C’est à ça qu’on vous paie, chenapans ? Où est l’archange ?
Les apprentis ricanèrent. Gaston se dandina d’un sac de plâtre à l’autre.
— Il a le béguin, alors dès qu’il a terminé sa besogne, il se carapate chez Rose, sa maîtresse.
Armand traçait du bout de sa galoche des ronds dans la poussière en sifflotant La Légende de saint Nicolas.
— Tu connais cet air ? s’exclama Joseph, interloqué.
— Dame, à force d’entendre le patron le dégoiser du matin au soir, ça s’est imprimé dans ma sorbonne et ça refuse de s’en effacer !
— Mince alors ! Se pourrait-il que le siffleur de la maison hantée et l’archange ne fassent qu’un ?
— Quoi qu’vous jactez ?
— Rien, rien. Où loge-t-elle, cette Rose ?
— Pourquoi que j’vous l’dirais ?
— Parce que je te rétribue, répondit Joseph en extirpant de sa poche une pièce de un franc.
— Pour deux ! Vous êtes rat ! On manque de braise, nous, on veut une thune !
— Cinq francs ! Vous croyez que je suis un chercheur d’or ?
Joseph étala sur sa paume la monnaie dont il disposait.
— Il faudra vous contenter de trois francs vingt-six.
Après de longs conciliabules avec son compère, Armand opina.
— Elle habite 13, quai d’Anjou. Rose Varlet, qu’elle se nomme.
— Comment en êtes-vous si sûrs ? L’archange vous confie ses bonnes fortunes ?
— Il a laissé traîner un agenda, marmonna Gaston.
— Tu sais donc lire ?
— C’est mon paternel qui m’a appris, il a de l’instruction, il est trimballeur de refroidis 32 .
— Joli métier, murmura Joseph, désolé de monnayer si cher un renseignement qu’il jugeait peu fiable.
— Non mais, sans blague, insultez pas mon dab ! Le soir, il figure dans un vrai théâtre. Avec ses copains il balade un palanquin où que s’prélasse l’impératrice de Chine !
Haussant les épaules, Joseph griffonna le nom et l’adresse fournis par l’apprenti et tourna les talons. Quel dommage que Victor fût absent justement ce jour-là !
— C’est drôle, à peine j’arrive que vous fichez le camp. Je vous gênerais, des fois ?
— Mais non, Euphrosine, qu’allez-vous imaginer ? J’ai des rendez-vous.
Suivant de peu Tasha, convoquée chez Raphaëlle de Gouveline pour une première séance de pose, Victor
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