Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
cher beau-frère, vous rapportez mon appareil à la librairie, vous prenez le relais de Kenji et vous exigez de vos merveilleux neurones qu’ils vous assistent dans l’élucidation de cet embrouillamini.
    — Vous avez l’art de m’envoyer aux pelotes, vous !
     
    Jules Friquet détestait avec un acharnement identique les enfants et les locataires. Aux premiers, il distribuait avec libéralité crocs-en-jambe, pinçons, gifles et autres gestes susceptibles de provoquer cris de douleur et larmes. N’importe quel faux-fuyant lui était bon pour exercer sa brutalité à l’encontre d’un être incapable de se défendre. Il joignait à cette lâche violence le plaisir de dérober à ses victimes une de leurs précieuses possessions. Dans la chambre accolée à la minuscule salle à manger de sa loge, il avait accumulé quantité de ces trophées : une poupée manchote, un ballon, une vingtaine de toupies, des billes d’argile, des agates de verre, un âne en peluche, cinq cordes à sauter, de quoi emplir un magasin de jouets d’occasion. Quant aux friandises, sucettes, sucres d’orge, pastilles de réglisse ou boules de gomme, elles s’entassaient dans un placard et constituaient le dessert favori du concierge.
    Aux seconds, il accordait non moins grassement des prévenances hypocrites, mais, s’il leur montait leur courrier, il s’ingéniait à intervertir certaines lettres, quand il ne les chapardait pas. Dûment brossés, les paillassons recouvraient des processions de moutons. Les escaliers enduits d’une encaustique liquide se muaient en toboggans, et les poignées de porte collaient aux doigts parce qu’elles avaient été astiquées à l’aide d’un chiffon poisseux.
    Parmi les habitants de l’immeuble, les plus indigents subissaient des persécutions plus franches. S’il advenait qu’ils fussent en retard pour le règlement du terme, une cuvette d’eau sale giclait malencontreusement sur leurs pieds au moment où ils se hasardaient dans le vestibule. D’aucuns se voyaient interdire l’accès du local à poubelles sous prétexte que des rats y avaient élu domicile, et ils étaient contraints de jeter leurs ordures ailleurs. Les canalisations sur les paliers se grippaient sans préambule, les serrures gorgées de guimauve refusaient de fonctionner, des cafards transportés dans des boîtes d’allumettes envahissaient les mansardes.
    De tous ces martyrs, celle qui remportait la palme était Madeleine Duméril, une vieille femme qui, sa vie durant, avait cardé la laine des matelas, le varech des paillasses et le crin des fauteuils sous le pont Marie. Une aïeule récemment décédée au fin fond de la Picardie lui avait légué une rente grâce à laquelle elle parvenait tout juste à payer son loyer, à se nourrir de bouillon et de pommes de terre et à s’offrir le luxe d’un sac de charbon hebdomadaire pour tiédir sa soupente à la mauvaise saison. Jules Friquet ne le lui pardonnait pas plus qu’à la République car, selon lui, un gouvernement qui se respecte se devait d’exiler les miséreux aux lisières de la capitale, et non sous les toits des honnêtes gens.
    Ce fut auprès de cette femme, qui s’apprêtait à entrer au 28, boulevard de Bercy, la tête courbée jusqu’aux genoux, les épaules étayées par deux cannes, que Victor s’enquit de Benoît Magnus.
    — Voulez-vous que je vous porte vos commissions ? proposa-t-il, la main tendue vers un filet presque vide.
    Méfiante, elle l’examina de son œil unique – l’autre était caché sous un carré de tissu noir.
    — J’ai l’habitude, je vous remercie.
    — Puisque vous vivez ici, vous pouvez peut-être me renseigner. Je cherche M. Benoît Magnus.
    Avant qu’elle ait eu le temps d’ouvrir la bouche, le concierge bondit de sa loge et se planta devant Victor.
    — C’est pas la mère Meurt-de-soif qui vous sera d’un quelconque secours ! Elle est trop imbibée pour recenser ses voisins !
    — C’est faux, je n’ai jamais été encline aux bitures !
    — Un surnom comme le vôtre, ça parle de soi-même. Quand on est un purotin, on estime le jus de la treille, c’est connu.
    — Si on m’appelait ainsi, c’était parce que l’été, sous le pont, on crevait de chaud et que j’avalais des litres de flotte ! riposta la vieille femme, indignée.
    Victor s’interposa.
    — Monsieur, soyez poli envers cette dame.
    — Cette dame ! Qu’est-ce qu’y faut pas entendre ! Et moi, monsieur, je

Weitere Kostenlose Bücher