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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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gronda Victor.
    — Cette rengaine me trotte par la tête, c’est pas ma faute. Je l’ai entendue la nuit où j’ai fouillé la propriété, un type la sifflotait. Le pire, c’est que je la connais, cette chanson, maman me la…
    — Dommage que nous ne sachions pas à quoi ressemble votre siffleur. Je rentre, j’ai mal au crâne, nous en reparlerons demain.
    — Demain, ne comptez pas sur moi avant le début de l’après-midi. J’accompagne Daphné à la salle des fêtes de la mairie, il y a une séance de guignol et je ne peux pas me défiler parce que Iris a rendez-vous avec le Dr Reynaud, et que ma mère nettoie à fond vos deux logements, rue Fontaine.
    Effrayé par cette perspective, Victor se promit de vouer la matinée à la photographie, plaisir qu’il avait délaissé depuis le commencement de cette enquête. Fuir, le plus loin possible des balais et des plumeaux qui danseraient la sarabande au cœur de son sanctuaire !

 
CHAPITRE XIX
    25 septembre
     
     
    Être le point de mire eût été divertissant en d’autres circonstances. Mais, unique élément masculin du public, Joseph prisait peu la curiosité dont il était l’objet. La salle des fêtes de la mairie contenait des bancs, empruntés à une école voisine, où, au coude à coude, se tassaient des femmes de boutiquiers, quelques rares bourgeoises et des soubrettes, peinant à maîtriser leur marmaille. Leur ironie masquait la jalousie éprouvée envers cet homme doté d’une gamine si sage. Daphné trônait fièrement sur les genoux de son père, fascinée par le castelet de bois recouvert de tentures vermillon installé sur une estrade. Les premiers rangs étaient réservés aux marmots plus âgés, fillettes en robe de velours à col de dentelle et capote à bride, garçonnets déguisés en officiers de marine et surmontés d’une casquette à pont. Ils pépiaient et trépignaient, raclant leurs galoches sur le carrelage, pendant que des yeux en amande les inspectaient, déconcertés et réprobateurs. Daphné n’avait guère eu l’opportunité de fréquenter des enfants, aussi ce comportement relâché lui était-il étranger. Elle devinait qu’un mystère merveilleux allait lui être révélé.
    Une douairière efflanquée à chignon blanc prit place au chevet d’une harpe. Dès que le rideau s’ouvrit, elle pinça les cordes de son instrument. Aussitôt, Daphné brassa l’air de ses poings, aspirant à s’emparer de la mélodie qu’elle croyait voir s’écouler telle une rivière sinueuse. Mais quand un personnage à face lunaire, nez camard, en jaquette de drap brun et tricorne, punit d’une bastonnade un vaurien coupable d’avoir dérobé des pommes, les mêmes poings se plaquèrent à un visage déformé par la peur. Joseph s’efforça de calmer l’émoi de sa fille tandis que le marionnettiste, les gants glissés sous les robes de ses figurines à gaine, les ballottait davantage. D’une voix suraiguë, il interprétait tous les rôles, et, à la grande joie de son auditoire, les fredaines de ses héros s’achevaient invariablement par une rossée que Guignol administrait à Gnafron ou à un garde municipal.
    Vint l’entracte et l’intermède musical, des mesures de la Ballade des gros dindons d’Emmanuel Chabrier, qui apaisèrent Daphné. Joseph activait ses mollets sur un tempo effréné, métamorphosé en un coursier emportant la princesse vers un château à douves, pont-levis et canons où jamais n’oserait accoster le malheur. Mais la seconde partie du spectacle fut encore plus pénible. Le montreur de pantins avait jeté son dévolu sur de vieilles chansons populaires. Cadet Rousselle et ses trois maisons, le rossignolet sauvage et son langage d’amour, les geôles de Nantes et leur prisonnier eurent l’heur de plaire à Daphné. Mais quand le roi fit battre tambour et que marquise mourut d’avoir senti un bouquet empoisonné, puis quand le roi Renaud de guerre vint portant ses tripes en sa main et que la terre engloutit sa belle épouse désespérée, Daphné se révolta. Les nounous et les femmes de commerçants froncèrent les sourcils devant cette gamine qui se tortillait afin de se soustraire à l’emprise paternelle. L’apothéose survint lorsque Guignol, encerclé de poupées lilliputiennes, affronta un forcené à tablier sanglant qui le menaçait de sa hache.
    Ils étaient trois petits enfants
    Qui s’en allaient glaner aux champs…
    nasilla l’ordonnateur du spectacle, maudit par

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