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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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compréhension.

 
CHAPITRE XX
    26 septembre
     
     
    Rose Varlet s’éveilla en sursaut. Le monstre qui, dans son cauchemar, feulait au fond d’une caverne où luisaient ses prunelles se révéla n’être qu’un remorqueur saluant l’île de trois coups de sirène. Gagner l’appui noirci de sa fenêtre la soulagea. Éradiqués, le mauvais rêve, la chambre minuscule sous les toits, le travail harassant, les déconvenues amoureuses. De sa dunette, elle embrassait le fleuve embrumé clapotant le long du quai d’Anjou mélancolique, où les trembles se dressaient au-dessus des modestes embarcations des pêcheurs d’épinoches. Elle vit glisser un chaland et s’installer sur la berge le tondeur de chiens, officieusement « coupeur » de chats. Des chevaux se baignaient sous le pont de Sully, près duquel un vieux peintre en veston d’alpaga et panama se préparait à déployer l’ombrelle de tussor sous laquelle il poserait son chevalet.
    Sept heures sonnèrent à un clocher. Le samedi, Rose jouissait du privilège de commencer sa journée plus tard. Elle se vêtit à la va-vite et se versa du café qu’elle blanchit d’une goutte de lait.
    Elle ignorait qu’au même moment, dans la cour pavée plantée d’arbustes, un homme en costume à carreaux coiffé d’un melon harcelait avec force œillades la concierge jusqu’à ce qu’il extirpât d’elle l’information désirée, à savoir qu’une certaine Rose Varlet logeait dans l’immeuble et allait incessamment apparaître.
    Joseph entrebâilla la lourde porte cloutée et rejoignit Victor et Tasha, perchés sur leurs bicyclettes et postés sous un réverbère.
    — C’est confirmé. Elle est jeune, brune et sera nantie d’un large panier. Tenez, la voilà. N’ayons l’air de rien.
    Tasha avait préféré se lever aux aurores plutôt que de renoncer à la décision adoptée au cours de la nuit. Cette fois, elle participerait à l’enquête, sans se ronger sangs et ongles en redoutant le pire pour son mari.
    Si Rose Varlet avait deviné que, sur les deux vélocipèdes qui roulaient à bonne distance d’elle, trois espions surveillaient chacun de ses pas, elle eût détalé comme un lapin. Mais elle était incapable de se croire l’objet d’une telle sollicitude, aussi savourait-elle son temps. Elle gagna la rue Poulletier, saluant au passage une vieille buraliste à lunettes et une femme aux traits émaciés affligée de deux enfants ensommeillés.
    — Z’ avez pas lorgné mon Hector ? Il a encore cédé au démon des carambolages ! Le père Mayen m’a raconté qu’il avait fait du barouf vers minuit au Café de la Pointe à cause d’un « coulé sur bande » raté. Maudit billard, y sera cause de notre ruine !
    La lavandière consola la malheureuse et se pressa vers la blanchisserie. Le trio examina en vain l’atelier occulté par des rideaux.
    Rose s’approcha d’un établi garni de perse bleue croulant sous des chemises d’homme à plis abondants et des robes froissées. Pendus à des tringles de laiton, des bonnets de dentelle surmontaient un poêle à coke et plusieurs planches encombrées de paquets de linge marqué. Sur une table tiédissaient des fers, polonais arrondis, champignons oblongs ou coqs rivés à une poignée. Parmi un fouillis de bols d’amidon, de brosses et de soucoupes pleines d’eau se dépensaient les repasseuses, en nage.
    Son panier comblé, Rose trottina vers la rue Saint-Louis-en-l’île, trait rectiligne festonné d’échoppes étroites où l’on accédait par des degrés. Dépourvus de pignons sur trottoir, beaucoup d’artisans – cordonniers, encadreurs, serruriers, ébénistes – se terraient au bout de corridors sombres et se contentaient d’une modeste enseigne signalant leur existence. Un poissonnier lavait son étal à grand jet. À l’angle de la rue Le Regrattier, un cabaretier aérait son local enfumé. D’autres commerçants, confiseur, antiquaire, fleuriste, n’ôteraient leurs contrevents qu’en milieu de matinée. Mais d’une boulangerie s’échappait une odeur de pain frais à laquelle succomba Rose Varlet. Grignotant un chausson aux pommes, elle se pencha vers un soupirail afin d’engager la conversation avec un vieillard à calotte et robe de chambre adonné à une réussite. La crémerie Brunat eut ensuite l’heur de la séduire. Après y avoir acheté un morceau de fromage qui, avec une baguette, constituerait son déjeuner, elle accéléra l’

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