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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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allure.
    Juché sur le porte-bagages de Victor, Joseph se cramponnait à son beau-frère au risque de les renverser tous deux. Il s’acharnait à sembler très à l’aise alors qu’il appréhendait une chute fatale. Cependant, Kenji ne décrétait-il pas à juste titre que : « Qui veut vaincre est déjà bien près de la victoire 33  » ? Chaque mètre gagné affermissait l’assiette du débutant, si cela continuait, il deviendrait un champion d’ici le crépuscule. Quant à Tasha, elle pédalait en éclaireuse et se retournait régulièrement pour s’assurer que Victor suivait.
    Dès qu’ils touchèrent l’île de la Cité, le vent succéda au brouillard. Aveuglés par les brindilles et les feuilles mortes, ils peinaient à filer la blanchisseuse, elle-même gênée dans sa progression. Enfin elle passa le Pont-Neuf et dévala un escalier au pied duquel un bateau-lavoir l’engloutit. Victor se rangea à côté de Tasha dans une demi-lune.
    — Elle en a peut-être pour la journée, tu devrais nous abandonner, ma chérie.
    — Pas question, je reste.
    Un fiacre s’arrêta au coin du pont. Une femme enveloppée d’une cape noire sauta à terre et se dirigea vers la berge.
    — Ça, par exemple ! La tante de Michel Forestier, je l’ai rencontrée au Procope  ! s’écria Tasha, aussitôt sur ses gardes en avisant la personne dont elle redoutait la collision avec Victor.
    — Une telle coïncidence ? Impossible, tu dois confondre.
    Elle eût voulu nier, pourtant c’était bien Félicité Ducrest qui pénétrait dans le bateau-lavoir.
    — Que fricote-t-elle ici ?
    — Des complices, cette fille et elle ? De quoi y Perdre son latin ! grommela Joseph, qui n’avait jamais appris cette langue.
    La cape noire surgit, agrippant par le poignet une Rose Varlet en larmes. Elles remontèrent jusqu’au véhicule où l’intruse, gonflée par la bourrasque à l’instar d’un gros coléoptère, força presque la jeune femme à s’effondrer.
    Sans échanger un regard ni un mot, les trois complices enfourchèrent leurs montures, disposés à pourchasser le fiacre.
    Tête baissée, dents serrées, ils rejoignirent la rive gauche qu’ils longèrent jusqu’au port Saint-Bernard. Les doigts gourds, Victor regrettait qu’un départ brusqué l’eût privé de gants. Joseph grelottait derrière lui, et, devant, Tasha, en culotte et veste de serge brune recouvrant un corsage de soie écrue, souffrait certainement de la fraîcheur matinale. Elle avait rassemblé la masse de ses cheveux flamboyants en un chignon auquel était piqué un bibi de velours bleu marine. Sur sa nuque voletaient des frisottis. Victor s’évertuait à garder une distance appréciable, de crainte qu’on ne notât leur présence, et, alliée au froid, cette vigilance rudoyait ses nerfs.
    À mesure que le fiacre s’enfonçait dans les profondeurs du quartier de la Gare, une prémonition submergea Victor. Cette direction lui déplaisait. Persuadé que cet itinéraire répugnait autant à Joseph, il longea néanmoins l’hospice de la Salpêtrière, puis l’abattoir de Villejuif, réservé aux chevaux, traversa la place d’Italie, attrapa le boulevard du même nom, de plus en plus perturbé. Ce fut sans aucun étonnement qu’il constata que le fiacre virait dans la rue Corvisart et ralentissait près d’un domaine qu’il eût préféré éviter.
    Tasha s’était garée à l’abri d’une palissade. Victor eut l’heureuse fortune d’être dissimulé par un tombereau empli de gravats. Dès que le fiacre eut pilé, la tante de Michel Forestier et Rose Varlet en jaillirent. À quatre pattes, elles se faufilèrent dans la trouée conduisant à la propriété. Victor parlementa brièvement avec Tasha et obtint qu’elle consentît à garder les vélos.
    — Où sont-elles ? murmura Joseph lorsqu’ils eurent à leur tour franchi les buissons.
    — Il n’y a qu’un endroit !
    Ils se battirent contre les griffes végétales et dérapèrent sur le sol boueux. Quand ils arrivèrent au corps de logis, la barrière de planches pourries du petit édifice pivotait doucement. Joseph allait bondir quand Victor le retint.
    — Accordons-leur un peu d’avance… Maintenant.
    Ils tâtonnèrent dans un corridor tapissé de fils gluants, et Joseph songea que la totalité des araignées parisiennes avaient élu domicile à l’intérieur de ces horribles constructions en raison du faible loyer. En contrebas tremblotait une lumière. Une

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