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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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plat goûteux mais plutôt lourd, à base de pommes de terre, d’œufs et de viande hachée.
    Hormis ces travers, la recrue au visage poupin, yeux en grains de raisin noir, nez en pied de marmite, joues peintes en vermillon, et à la gentillesse aussi inusable que sa sempiternelle blouse grise, était une bénédiction.
    — En ce cas, puisque notre intimité est complète, permets que je me plonge d’abord dans un bain, c’est un cérémonial que je ne savoure que chez toi, dit Djina.
    Avant qu’il n’eût réagi, elle se délivra de son étreinte et gravit l’escalier à vis. Sis à l’extrémité de l’appartement de Kenji, qui ne s’était toujours pas décidé à investir les pièces récemment délaissées par Iris et Joseph, le cabinet de toilette constituait un luxe fort apprécié de Djina. Elle étudia dans la glace l’ensemble que son amant avait tenu à lui acheter au début du printemps : une robe en barège vieux bleu à col Médicis, une veste à basques ondulées sur un gilet à plis en soie côtelée maïs, un chapeau en velours ardoise garni de perles.
    — Tu n’as plus l’âge de singer les princesses, railla-t-elle. Si elle n’a pas encore de bébé, Tasha a vingt-neuf ans et ta fille cadette t’a muée en aïeule !
    Pendant que la baignoire de cuivre s’emplissait, elle commença de se dévêtir sans regarder la photo. Prisonnière d’un cadre ouvragé, elle trônait sur une tablette de marbre. On y voyait une jeune femme brune et un garçon d’une douzaine d’années qui lui ressemblait beaucoup. Daphné et Victor, Londres, 1872 , était-il noté.
    Elle était jalouse de cette Daphné, la folle passion de Kenji. Que cette créature infiniment séduisante fût décédée ne la rassurait en rien.
    « Il aurait pu avoir la délicatesse de m’épargner ça », songea-t-elle.
    — M’autorises-tu à assister au déshabillage ?
    Elle sursauta et, confuse, eut le réflexe de plaquer contre son corset un des jupons qu’elle avait dégrafés.
    — Escomptes-tu que je vais interpréter Le Petit Coucher de l’infante  ? Je suis loin de posséder les talents de la légendaire Fiammetta qui fut la coqueluche de Paris… Comment une archiduchesse ose-t-elle s’exhiber de la sorte !
    — Qui parle de talent ? Il n’est question que d’affection, celle que tu m’inspires.
    Ce disant, Kenji entreprit de la dénuder. Cette tâche s’avéra plus difficile qu’il ne le supposait. Djina finit par coopérer, et ce fut en riant qu’elle se dépouilla de ses nombreux dessous.
    — Ça va déborder ! s’exclama-t-il. Voilà, l’eau est tiède. Préfères-tu un savon à la lavande ou au jasmin ?
    — Minute ! Crois-tu t’en tirer si facilement ? A mon tour.
    Avant son voyage à Cracovie cette audace l’eût choquée, voire paralysée. Elle était revenue de Pologne affranchie des inhibitions imposées par la société et l’opinion d’autrui. Dans le train qui roulait vers Paris, un monsieur à la moustache cirée lui avait adressé d’éloquentes œillades, et sur le quai de la gare, l’accueil ardent de Kenji avait achevé de lui donner confiance en elle. S’il lui arrivait d’être la proie d’accès de pudeur, elle parvenait à les dominer et à se comporter comme elle ne l’eût jamais jugé possible.
    Elle enleva fougueusement le veston de Kenji et déboutonna sa chemise. Il ôta le reste sans barguigner, et ils n’eurent d’autre choix que d’enjamber la baignoire. Face à face, ils se dévisageaient en souriant. Leurs mains se cherchèrent, les obligèrent à se rapprocher. Au moment où leurs corps s’épousaient, Kenji chassa la pensée saugrenue qu’après une telle performance nautique il mangerait de bel appétit le bouligou 13 de Mélie Bellac.
     
    — Mon Dieu, que je suis émue ! Enfin ma Bélinda et mon Chérubin sont unis par des liens sacrés ! N’est-ce pas une vision angélique ?
    Sanglée dans un corsage ajusté et une jupe rubis, Raphaëlle de Gouveline s’éventait en refoulant des sanglots au spectacle de ses chiens assis sur une estrade jonchée de fleurs d’oranger. Dans son modeste hôtel de la rue La Boétie, elle ne supportait son veuvage qu’à la condition de se vouer à ceux qu’elle considérait comme ses enfants : un bichon de sexe féminin et un schipperke mâle. Ces deux cadors, habillés sur mesure par le tailleur Ledouble, possédaient un trousseau complet : manteaux de voyage, bottes de caoutchouc,

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