La momie de la Butte-aux-cailles
qu’il déchirait sa blouse. Elle restait silencieuse, comme hypnotisée, il l’entendait faire un effort pour respirer. Soudain, elle le repoussa violemment parce qu’elle sentait qu’elle était sur le point de capituler.
— Non, Hans, dit-elle, c’est fini. Il n’y a plus à revenir là-dessus.
— Vraiment ?
— En ce qui me concerne, oui, vraiment. Tu peux te cramponner au passé si ça te fait plaisir, mais, pour moi, le passé est révolu.
— Ne sois pas méchante, tu en as envie.
— Je suis heureuse de constater que tu es toujours aussi autoritaire. Rien ni personne ne contrecarre tes décisions, hein ? lui lança-t-elle, glaciale.
Elle se dégagea sans cesser de le regarder avec mépris. Il n’était pas habitué à être traité de la sorte et, saisi de fureur, il la secoua brutalement, elle trébucha sur un obstacle mou. Un miaulement indigné brisa net leur corps-à-corps, une boule de poils jaillit toutes griffes dehors tandis qu’elle récupérait son équilibre.
— Sale bête ! hurla-t-il.
Elle profita du court laps de temps où il lâchait prise afin de sucer son poignet où perlaient quelques gouttes de sang, serra contre elle des lambeaux de sa blouse et s’élança à l’air libre à la suite de Kochka.
— Merci, Demi-Pinceau, tu m’as sauvée de moi-même, murmura-t-elle à la chatte dès qu’elles furent enfermées à double tour dans l’appartement.
Habillée à la hâte, elle guetta le moment où une tierce personne lui permettrait de fuir celui qui assiégeait son refuge.
— Je t’en prie, implorait-il, je t’en prie, laisse-moi entrer ! Je regrette, sois gentille.
— Va-t’en, Hans. Restons-en là avant d’en arriver à des mots et à des gestes encore plus inconvenants, dit-elle, les lèvres collées au vantail de la porte.
Enfin, les filles du menuisier se poursuivirent autour de la pompe de la fontaine, se suspendirent à une branche d’acacia et chantonnèrent Dansons la capucine en sautillant vers le porche. Tasha s’empara de son réticule, bouscula rudement Hans au passage et bondit à l’extérieur.
— Zoé ! Chloé ! Attendez-moi !
Elle se coula entre les gamines hilares et les entraîna dans la rue. Elle n’eut que peu de mètres à parcourir avant qu’un fiacre vide ne roulât à sa hauteur. Elle s’y engouffra à l’instant où la poigne de Hans allait l’agripper.
Où aller ? A la librairie ?… Non, surtout pas ! Rue de Seine, chez Iris, le temps de reprendre ses esprits ! Les larmes embuaient ses paupières, elle chercha son mouchoir. Un papier froissé surmontait le fouillis dont était bourré son réticule. Une adresse rue Saint-Sulpice, un nom, Michel Forestier. Elle se souvint vaguement d’un ami de Laumier qui lui avait porté secours au Procope quand elle avait eu son malaise, et en avait profité pour lui palper la cheville.
« Décidément, tous les mêmes, des obsédés, des libidineux ! »
Elle déchira le papier en menus morceaux et les glissa entre la banquette et le dossier du véhicule alors que le fiacre abordait le quai Malaquais. La rue Saint-Sulpice lui évoqua le jardin du Luxembourg et es premières leçons de bicyclette avec Helga Becker. Une promenade autour du bassin lui ferait le plus grand bien. Marcher, se payer une gaufre, oublier sa faiblesse, chasser Hans de ses pensées. Elle toqua à la vitre de séparation et ordonna au cocher de changer d’itinéraire. Elle descendit à l’angle de la rue Férou.
Rien ne se déroula comme elle l’avait envisagé. Dès qu’elle eut posé le pied sur le trottoir, une femme plus très jeune mais extrêmement chic – toilette de ville en astrakan – accourut à sa rencontre.
— Vous vous souvenez de moi ? Félicité Ducrest, nous avons lié connaissance au Procope , je me suis plainte de mes divorces ! s’écria-t-elle en riant.
Tasha identifia sans peine cette évaporée à nez et incisives de lapin, la tante de Michel Forestier.
— Pardonnez mon indiscrétion, mais venez-vous voir mon neveu ?
« Comment cette pimbêche ose-t-elle ? »
— Non, je projetais de me promener au Luxembourg. J’ignorais que votre neveu habite par ici, ajouta-t-elle avec une surprise feinte.
— Il y travaille aussi. J’y songe, puisque vous avez tout votre temps, me concéderiez-vous un thé chez moi ? La solitaire que je suis serait flattée de papoter avec une artiste, et vous pourriez admirer à loisir mes Renoir et mes
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