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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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si elle l’avait estourbi et suspendu dans la penderie près de son costume de serge à rayures ?
    — Vous exagérez, Joseph. Calmez-vous, sinon Kenji ne sera pas berné par notre manœuvre.
    Comme s’il n’avait attendu que ces propos, le carillon tinta. Un curieux personnage marcha vers Kenji. Une ample blouse caca d’oie recouvrait son pardessus, un cache-nez de laine emmitouflait son menton. Il était chaussé de sabots de bois blanc qui ébranlèrent le plancher, et coiffé d’une toque de castor sous laquelle sa longue chevelure jaune était torsadée en chignon sur la nuque. Deux minuscules orifices bleu pâle perçaient un visage fripé à moitié englouti par une barbe hirsute et se braquèrent sur les jaquettes fanées des romans.
    — Hello, cher confrère. J’espère que votre librairie adhérera à mon plan de rénovation sociale et que, quand j’aurai créé mon syndicat, elle se soumettra à ses règles.
    — Quelles seront-elles, monsieur Chanmoru ? demanda froidement Kenji.
    — Ne vendre aucun ouvrage d’un montant inférieur à celui que j’aurai établi. Un comité entérinera les cotes. De même que dans mes vingt boîtes, tous les bouquins seront classés par ordre alphabétique, une étiquette en indiquera le titre et le prix, une ficelle en emprisonnera les pages, une pancarte rédigée en vieux français dispensera des conseils judicieux sur les soins à leur prodiguer, ainsi qu’une défense formelle de répandre sur leurs tranches des cendres de cigarette.
    — Et ce comité, de qui se compose-t-il ?
    — Essentiellement de ma personne. Mais je vous en reparlerai. Hic et nunc , une autre affaire m’amène. Vos deux associés m’ont promis de venir estimer les reliés rehaussés de l’ex-libris du chanoine Antoine Chevalier comprimés dans ma remise comme harengs en caque. Des raretés de 1650.
    —  lkénouk  ? Serait-ce de l’inuit ?
    — Du latin, monsieur Mori, du latin : ici et maintenant.
    Victor et Joseph jaillirent de l’arrière-boutique, deux enfants de chœur au sourire candide.
    — Je me disposais à me rendre à Drouot, protesta Kenji.
    — Je vous jure sur la tête de maman de rappliquer a midi ! brama Joseph.
    — Économisez vos serments, de peur que vos fredaines n’aient raison de la santé de votre mère et de la patience de votre beau-père.
    « Ils me prennent pour un dindon ! Chanmoru, des raretés ! Cette conspiration ne me dit rien qui vaille », rumina Kenji, épiant les trois larrons à travers les vitrines.
    — Surtout, muselez votre bouche et n’oubliez pas d’empaqueter à votre étalage deux volumes contenant le fameux ex-libris, recommanda Victor à Chanmoru, dont les sabots claquaient déjà sur le trottoir de la rue des Saints-Pères.
     
    Chavagnac et Gerbecourt, les agents du commissaire Raoul Pérot, veillaient sur la cour de Rohan avec la discrétion d’épouvantails à moineaux. Tout juste si Chavagnac ne salua pas Victor et Joseph dont il était censé épier les visites à la maison d’Alexandrine Piote. Il adressa un grand signe à Gerbecourt afin d’attirer son attention du côté du hangar où les deux suspects s’étaient faufilés.
    Au spectacle du capharnaüm où était peut-être ensevelie la boîte de Migrainine, Victor émit un soupir auquel Joseph fit écho.
    — Ça me donne une idée : supposez que, dans des millions d’années, nos descendants chargent des archéologues d’éplucher le quartier. Vlan ! Ils cueillent une loutre empaillée, une passoire et une crinoline et ils en déduisent que leurs ancêtres étaient de petits mammifères velus qui se coiffaient de chapeaux à trous et enfermaient leurs ennemis dans des armatures de baleines.
    — Joseph, nous sommes pressés, oubliez vos lubies et au travail !
    Ils employèrent l’heure suivante à déplacer des objets saugrenus dont certains étaient difficiles à identifier, telle cette raquette de badminton dépossédée de son manche et piquée de fleurs artificielles. Ils frôlaient parfois un gisement de gaufriers ou un filon de cuillers à absinthe. Dès qu’ils repéraient une boîte, ils n’avaient de cesse qu’ils ne l’aient extirpée du fatras l’enrobant et, désappointés, éternuaient, les yeux pleins de poussière, face à un emballage de Gouttes Iivoniennes, de chocolat Menier ou d’Élixir des Bénédictins.
    — C’est inutile, nous perdons notre temps, finit par admettre Victor.
    — Pas tout à fait,

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