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La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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m’importune, je redoute de l’affronter au hasard de mes déplacements.
    Elle éprouva un grand apaisement, débarrassée du poids qui l’oppressait depuis que Hans, dépité qu’elle eût fui ses ardeurs, lui avait écrit une lettre enflammée la sommant de le rejoindre chez lui. Cette épître, elle l’avait brûlée. Elle comprenait que seul Victor la sauverait du sculpteur si, selon la logique de son caractère farouche, les alarmes suscitées par ce trouble-fête l’incitaient à le congédier.
    — Souhaites-tu que j’aie une explication avec lui ?
    — J’aimerais qu’il accepte le fait que je suis ta femme, et qu’il ne saurait être question de ranimer ce qui a autrefois existé entre nous.
    Victor jubilait. C’était la plus exquise preuve d’amour qu’elle lui eût jamais accordée. En se confiant a lui, en lui conférant ce rôle de conciliateur, elle le délivrait, pour quelque temps du moins, de cette méfiance envers elle qui souvent le taraudait. L’image détestable d’une ombre pressée contre sa dulcinée dans la cour obscure tenta de gâcher son bonheur, il pulvérisa cette vision. Il embrassa une épaule, un bras, l’échancrure d’une camisole, avant que ses mains, mues par un appétit qu’il ne contrôlait plus, ne s’aventurent sous le linon et ne pétrissent des seins ronds et tièdes.
    Au va-et-vient qui ébranlait le matelas, Kochka pressentit que la voie menant à la cuisine où elle était supposée avoir passé la nuit était un itinéraire recommandé. Elle y disposait d’ailleurs d’une soucoupe encore à demi pleine de lait qui la consolerait de sa volte-face.
     
    Le client était vêtu à la diable d’une méchante redingote boutonnée haut et d’un pantalon de velours rapiécé. Un sombrero de feutre, une barbe blanche hugolienne et une longue pipe en porcelaine toujours éteinte complétaient sa mise. On prétendait qu’il était richissime. Pour l’heure, Joseph avait entrepris de lui vendre Les Amours de Psyché et de Cupidon 30 par M. de La Fontaine, édition originale d’un ouvrage paru en 1669 chez Claude Barbin.
    — Une rareté pareille, avec une reliure ancienne en maroquin ornée par Trautz, 1 500 francs, ce n’est pas une affaire, c’est un cadeau !
    — J’hésite, marmonna le bonhomme.
    Joseph prit un air inspiré et récita :
    —  Volupté, volupté, qui fus jadis maîtresse
    Du plus bel esprit de la Grèce,
    Ne me dédaigne pas ; viens t’en loger chez moi…
    « Avouez que la tentation est forte ! poursuivit-il. – Certes, certes… Entendu, j’y cède, portez-le-moi dès que possible à mon domicile, rue de Vaugirard.
    — À condition que vous me versiez un acompte, monsieur le baron.
    Joseph serra les trois billets bleus dans un tiroir qu’il ferma à clé et raccompagna son client à la porte.
    — Vous êtes expert en l’art de la persuasion, assurément, remarqua Victor qui avait assisté à la scène.
    — Le baron de Weber vient de nous éponger six mois de factures diverses, remerciez ce brave La Fontaine. J’ai du neuf, j’ai déchiffré l’adresse du bouquin miniature ! C’est une fabrique de parfums à Charenton, la maison Romant, 12 bis et 12 ter, rue de l’Archevêché.
    Lorsqu’ils eurent échangé leurs informations, Victor décréta qu’il était temps de soumettre la main cueillie dans la cave de la bâtisse abandonnée à l’examen d’un spécialiste. Il se proposait de la montrer à M. Mendole qu’il espérait épingler place du Panthéon. Il y louait un entresol dans un tourne-bride quand il ne séjournait pas en sa bonne ville de Senlis.
    De mauvaise grâce, Joseph descendit à la réserve où le cabas, que traquait vainement sa mère, avait été réduit en cendres. Il s’empara de la main dûment emmaillotée d’une quadruple couche de charpie et des monographies de Chevreul provenant du hangar de tata Bric-à-brac.
    — Si vous empruntez l’omnibus, vous aurez une Place et même deux sans problème, ça schlingue.
    Victor harponna le paquet de toile et les feuillets avec l’enthousiasme d’un condamné marchant vers l’échafaud.
     
    Quand il franchit de nouveau le seuil de la librairie trois heures plus tard, il affichait la mine d’un ressuscité.
    Il trépigna jusqu’au départ de deux dames chargées des œuvres de François Coppée, puis enjoignit à Joseph d’ôter le bec-de-cane.
    — Mélie est là ?
    — Non, elle vaque aux provisions. Alors, il y était,

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