La momie de la Butte-aux-cailles
cadeau atténuerait l’impression fâcheuse que son entrevue avec Hans, Richter ou Kampers, avait eue sur ses nerfs.
Il se promena entre des comptoirs où des femmes en fourrures soumettaient leur poignet aux vendeuses et humaient ensuite une fragrance prétendant surpasser celle du lilas ou de la rose. Il dédaigna les nouveautés de Lubin, de Houbigant, de Bourjois ou de Pinaud, malgré les signaux désespérés que lui adressait une jeune fille en blouse turquoise. Quelques mètres plus loin, il s’immobilisa devant un flacon autour duquel s’entortillait un ruban vert semblable à celui que lui avait montré Joseph. La blouse turquoise accourut à la rescousse.
— Monsieur désire humer Sourire des Indes ? Ou bien avez-vous simplement besoin d’un conseil ?
Il examinait le satin crème du coffret où était couché cet exquis Sourire. Son rythme cardiaque s’était accéléré, il avait la sensation de conduire la Serpolet de Sir Reginald Leamington, tellement enviée un an plus tôt, et crut discerner le clignotement de la petite lampe rouge placée dans la librairie près du buste de Molière. Que lui avait appris Joseph ?
« Imbécile que je suis, 12 bis et 12 ter, rue de l’Archevêché, parfums Romant ! »
— Mademoiselle, la marque Romant est-elle d’aussi bonne qualité que ses rivales ?
— Excellente. Mais on ne choisit pas un parfum comme un article ordinaire, car tous ne conviennent pas à toutes. Il y a ceux des blondes, ceux des rousses, ceux des brunes. Sourire des Indes est parfait pour une brune, légèrement poivré, avec un je-ne-sais-quoi d’acidulé, toutefois…
— Je le prends.
Déconcertée, la vendeuse reposa le flacon qu’elle s’apprêtait déjà à décalotter afin d’en inonder les doigts de Victor.
— Je suppose que c’est un cadeau ? Nous allons vous l’emballer.
— Une minute ! Avez-vous du benjoin ?
La vendeuse réprima un gloussement. « En voilà un qui est pourvu d’une femme et d’une maîtresse », conclut-elle.
— Doit-on également envelopper le benjoin ?
Victor opina du chef. Ainsi la formule sur le livret contenu dans la carpe était celle d’un parfum. Aloès, nard, encens, cinnamome, myrrhe, des substances aromatiques combinées entre elles suivant des dosages spécifiques rebelles à l’entendement de M. Mendole : inutile de cuisiner le pharmacien de la rue Jacob, cela concordait avec ce qui venait de lui être démontré. Mais en quoi la maison Romant à Charenton était-elle mêlée à la genèse d’une essence créée par un certain Pentaour ? Quel lien l’unissait à la mort d’Alexandrine Piote, détentrice d’une formule enfermée dans une boîte de Migrainine ?
Vos paquets, monsieur. Veuillez régler à la caisse, annonça d’un air obséquieux la jeune fille en blouse turquoise.
— L’inspecteur Valmy se félicitait d’avoir déployé cour de Rohan le zèle nécessaire à l’obtention d’indications capitales. Il avait mené une fastidieuse enquête de voisinage, consultant chaque personne au sujet des familiers d’Alexandrine Piote. La veille seulement, une plumassière à peine âgée de quinze ans, paralysée de peur, les yeux baissés, les doigts meurtris par son travail, avait risqué une allusion à un militaire côtoyé à plusieurs reprises, M. Alphonse Ballu.
— C’est une espèce de saligaud, y m’a souvent coincée sous un porche, il exigeait qu’j’soulève ma jupe, et pis y m’a exhibé sa boutique… Vous lui répéterez pas, hein, ça m’coûterait ma place. Déjà qu’les vieilles du métier m’traitent en coursière et m’obligent à leur acheter un chou à la crème ou à porter leurs billets doux pour m’ piquer mon turbin !
Dégoûté mais satisfait, Augustin Valmy était allé se laver les mains, souillées par la promiscuité de l’atelier et les racontars de cette fille. Un de ses subordonnés s’était attelé à la quête du susdit Ballu. En fin de journée, on s’était rendu compte qu’il était nanti d’une cousine concierge rue des Saints-Pères, juste à côté de la librairie du sieur Victor Legris. Et l’adresse de ce fonctionnaire au ministère de la Guerre était dévoilée : 37 ter, rue Violet.
Si Mme Armande Simonet ne parut guère bouleversée de recevoir la visite d’un policier, ce fut grâce à l’emprise exercée sur elle-même. Toute émotion un peu vive déclenchait des effets similaires : ses intestins se contractaient,
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