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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Puis, je n’aimerais pas te priver de ton plaisir.
    En sortant, il ne put s’empêcher de remarquer :
    â€” Comme Jeanne séjournera dans sa paroisse jusqu’aux funérailles, cela te donnera l’occasion de renouer avec tes enfants. Je me demande si tu te souviens encore de la couleur de leurs yeux.
    Si son intérêt pour la domestique faisait de lui un mauvais mari, aux yeux de tous, être une mauvaise mère entraînait une condamnation plus sévère.
    * * *
    Un moment plus tard, le jeune notaire, assis dans la chambre de sa mère, lui relatait les derniers malheurs de Jeanne. Elle allait sur ses soixante ans, mais ses cheveux précocement blancs et sa mine permettaient de lui en donner vingt de plus. Elle ne couvrait plus son embonpoint qu’avec de grandes robes noires, décorées de dentelles de même couleur. Sa silhouette rappelait celle de la reine Victoria, lors de ses dernières années de règne.
    â€” Je vais l’accompagner jusqu’à la base militaire.
    Si la vieille dame jugea cet empressement suspect, elle ne prononça pas un mot de reproche. Même une fidèle servante des enseignements du Seigneur savait apprécier combien le mariage de son fils demeurait privé de toute joie. Sa complicité n’allait toutefois pas jusqu’à formuler un commentaire.
    â€” Pauvre fille, tu lui transmettras mes plus sincères condoléances et celles de ton père.
    â€” Pourras-tu tenir les enfants à l’œil? Jeanne ne sera pas là pendant quelques jours.
    Un bref instant, la vieille dame pensa dire : « Eugénie sera présente. » Elle se ravisa juste à temps :
    â€” Cela me fera plaisir. Je me souviens encore du bonheur que j’ai eu à m’occuper de toi.
    Fernand quitta son siège pour lui baiser les joues, puis il demanda encore :
    â€” Papa n’est pas revenu… un testament à rédiger près du lit d’un agonisant. Tu le mettras au courant de mon absence. De toute façon, avec l’épidémie, les clients ne se pressent pas à la porte de notre cabinet.
    Elle acquiesça d’un signe de tête. Le jeune homme retrouva la domestique dans le vestibule, au rez-de-chaussée, déjà vêtue de son manteau, un petit sac de voyage à la main.
    * * *
    Le trajet vers la ville de Saint-Jean, par l’ancienne ligne de chemin de fer du Grand Tronc, prit des heures. Non pas que la distance fût si grande, mais les très nombreux arrêts rendaient le trajet interminable. Ils descendirent dans la gare de la localité une fois la nuit tombée, cherchèrent devant le petit édifice un moyen de se rendre à la base militaire.
    â€” Il y a une voiture taxi là-bas, murmura Jeanne en pointant du doigt un petit hôtel.
    Même s’ils marchèrent d’un pas rapide, un couple dans la quarantaine atteignit le véhicule juste avant eux.
    â€” Nous allons au camp, déclara l’homme au chauffeur par la fenêtre laissée entrouverte.
    Fernand lui posa la main sur l’avant-bras afin de lui demander :
    â€” Monsieur, si vous nous le permettez, nous allons prendre place avec vous. À cette heure, nous ne trouverons plus personne pour nous conduire.
    â€” À quatre, là-dedans?
    â€” Cela ne peut pas être bien loin.
    L’homme et la femme portaient des vêtements de deuil. L’uniforme noir de domestique de Jeanne, débarrassé de la coiffe et du tablier blanc, donnait très bien le change.
    â€” Venez-vous aussi pour votre fils? demanda l’inconnu d’une voix plus amène.
    Dans l’obscurité, les traits tirés, tous les deux devaient paraître bien plus âgés.
    â€” Non, son frère.
    L’homme soupira, puis convint :
    â€” Refuser ne serait pas chrétien. En nous serrant les uns contre les autres, je suppose que cela ira.
    Il s’épargna cependant la promiscuité en grimpant à l’avant, près du chauffeur.
    La grosse Chevrolet accueillit les trois autres à l’arrière. Pour ne pas faire porter son poids contre cette inconnue, Jeanne se rapprocha de son employeur pendant tout le trajet, à la fois intimidée et rassurée par cette proximité.
    Par une guérite, un soldat contrôlait l’accès de la base militaire. Le notaire prit sur lui d’expliquer au garde de faction les motifs de

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