La mort bleue
fil. Fernand dut attendre au moins quinze minutes avant quâune employée de Bell Canada ne daigne répondre. Il en perdit encore au moins vingt avant de pouvoir parler à un officier in charge à la base militaire de Saint-Jean. à la fin, il put expliquer à un officier dans un anglais défaillant :
â Lâun de vos hommes, Henri Girard, est mort dans la nuit. Sa famille souhaite rapporter son corps dans son village natal afin de lâinhumer parmi les siens.
Il écouta un long moment son interlocuteur, puis couvrit lâémetteur de sa main, le temps de répéter :
â Ils peuvent chanter un service funèbre là -bas et le mettre dans le cimetière de lâarmée.
â ⦠Non, pas parmi des étrangers, des protestants.
Jeanne présentait des yeux rouges, un peu enflés. Même si elle paraissait maîtresse dâelle-même, son employeur jugea le moment mal choisi pour lui expliquer que les autorités militaires se montreraient suffisamment respectueuses pour faire reposer le cadavre dans un cimetière catholique.
â Je veux quâil dorme parmi les siens⦠conclut la domestique. Je paierai, jâai pu amasser des économies, depuis dix ans.
Le montant devait en être bien modeste, car jusquâà tout récemment son père avait encaissé lâessentiel de son revenu. Elle avait osé mettre fin à cet abus le jour de ses vingt-cinq ans. Fernand précisa à lâintention de son correspondant invisible :
â La famille, que je représente, tient à ce que le corps regagne son village.
Après un autre silence attentif, le notaire précisa :
â Il faudra aller à Saint-Jean, pour signer des papiers.
â Mon travailâ¦
â Tu prendras tous les jours de congé nécessaires.
Elle demeura songeuse, puis déclara encore :
â Mais est-ce que je saurai?
Son apprentissage de la lecture ne faisait pas problème⦠mais les papiers de lâarmée, en plus dâêtre rédigés en anglais, devaient être bien abscons. Puis, ses seuls déplacements sâétaient limités à se rendre dans Charlevoix, en train, une fois lâan.
â Je vais donc tâaccompagner.
â ⦠Monsieur, je ne peux pas accepter.
Le premier mot devait rappeler la distance entre eux. Il ne servit à rien.
â Jâaccepte bien que tu prennes soin de mes enfants à la place de leur mère.
Puis il approcha de nouveau le cornet du téléphone de sa bouche afin de planifier sa venue dans le camp militaire. Les formalités se régleraient plus vite si on lâattendait avec un certain nombre dâinformations en main. Au moment où il raccrocha après les dernières salutations, Jeanne enchaîna :
â Je ne pourrai sans doute pas vous rembourser le coût du trajet, encore moins votre tempsâ¦
Il leva la main pour la faire taire.
â Câest moi qui te devrai toujours quelque chose, pour tes bons services. Maintenant, je dois encore contacter la gare, afin de connaître les horaires des trains. Monte te préparer, nous partirons le plus tôt possible.
Par un curieux hasard, cette fois, la communication sâétablit facilement. Ensuite, Fernand regagna sa chambre afin de remplir un petit sac de voyage. Au moment où il sâapprêtait à redescendre, le souvenir de ses obligations familiales lui revint. En soupirant, il frappa à la porte du petit salon occupé par sa femme, nâattendit pas la réponse avant dâouvrir la porte. Eugénie leva la tête de son livre, un regard ironique sur le visage.
â Je vais accompagner Jeanne à Saint-Jean. Elle ne saurait pas régler les formalités. Nous reviendrons au petit matin, demain.
â Oh! Ta sollicitude nâa plus de bornes. Un petit voyage avec la domestique, à présent.
â Pour aller récupérer le cadavre de son frère. Aimerais-tu changer de place avec elle? Ou avec moi?
Le souvenir dâÃdouard effleura lâesprit de la jeune femme, un moment, elle se demanda si cette inversion du sort lui pèserait tant.
â Comme elle te torche depuis dix ans, la responsabilité dâaller avec elle devrait te revenir.
â Tu sais bien que je nâaime pas les voyages.
La dérobade fit sourire son époux. La suite mit une grimace sur ses traits :
â
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