Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
redressa juste à temps. Le port du masque ne suffisait pas à lui inspirer la prudence.
    â€” Pour la même raison, je ne vous serre pas la main, précisa le visiteur.
    â€” Porte-toi bien, et essaie de m’envoyer un mot, pour me rassurer, enchaîna la domestique.
    â€” Tu sais bien que nous ne sommes pas des écriveux, dans la famille.
    Après une brève inclination de la tête, en guise de dernier salut, le couple quitta la grande salle surchauffée dans un concert de toux creuse.
    * * *
    Ils eurent de la chance, une voiture militaire les conduisit à la gare. Fernand chercha un employé afin de s’assurer que le cercueil se trouvât bien dans le wagon postal. Le colis macabre tiendrait compagnie aux employés pendant les douze prochaines heures.
    Minuit approchait quand la locomotive s’ébranla dans un nuage de vapeur.
    â€” Vous êtes extrêmement généreux de vous être déplacé ainsi. Je n’aurais pas réussi, avec tous ces étrangers, déclara Jeanne, pour la centième fois peut-être depuis leur départ de Québec.
    â€” Je t’assure, c’est un juste retour des choses, compte tenu de tes services.
    â€” Aucun autre employeur ne ferait la même chose.
    La jeune femme détourna le regard, contempla un moment le grand rectangle noir de la fenêtre. À cette heure, sous un ciel d’encre, l’obscurité était totale. Aucune lumière ne brillait dans les maisons. Sans les nombreux villages traversés à bonne allure, elle aurait pu s’imaginer roulant dans un long tunnel.
    â€” Tu as peut-être raison. Je ne le fais pas pour mon employée, mais pour une bonne amie.
    Elle le regarda brièvement, à la dérobée.
    â€” Depuis des années, tu es la seule personne avec qui je peux avoir une conversation, à la maison. Tu le vois comme moi, mes parents ne sortent plus de leur missel.
    Fernand jugea plus convenable de ne faire aucune allusion à son épouse. Il ne se souvenait même plus de sa dernière véritable conversation avec elle. Il continua après un moment :
    â€” Je discute un peu de métier avec mon père. Pour le reste… J’apprécie nos conversations échangées le soir, lorsque toutes les lumières sont éteintes, puis pendant la journée, les secondes volées entre deux portes. Ce sont mes seuls contacts humains, en plus des enfants.
    Trop intimidée pour le dévisager, Jeanne fixa son regard sur la fenêtre du wagon, sur sa gauche. À cause de l’obscurité à l’extérieur et de la lumière à l’intérieur, il se produisait un effet miroir. Cela lui permettait de voir le reflet de son compagnon. Fernand présentait un embonpoint appréciable. Sa forte carrure lui conservait toutefois une certaine prestance. Le visage exprimait de la timidité, mais surtout une grande délicatesse et une bonté foncière. Sur le parvis de l’église de Petite-Rivière-Saint-François, il aurait présenté un excellent parti. Sur celui de la cathédrale de Québec, il demeurait fort convenable. Toute femme soucieuse de sa sécurité matérielle et affective se serait donné la peine de considérer très attentivement sa candidature au poste d’époux.
    â€” Vous êtes terriblement seul, conclut-elle, cette fois en regardant son employeur dans les yeux.
    â€” N’est-ce pas ridicule? Dans une maison où vivent neuf personnes, je me sens seul.
    â€” Les enfants grandissent, bientôt vous pourrez profiter de leur présence.
    Elle convenait aisément que le babil de sa progéniture ne procurait guère une présence véritable à un homme, un professionnel de surcroît. Il lui donna raison en murmurant dans un ricanement :
    â€” À quel âge Antoine pourra-t-il tenir une conversation? Dix ans? Quinze ans? Une éternité.
    Le cœur à vif, épuisée par cette journée, le geste vint naturellement à la jeune femme. Jeanne plaça sa main gantée sur celle, très grande, de son employeur. Il saisit les doigts fins, affirma :
    â€” De ton côté, tu te trouves aussi isolée dans notre grande demeure, sans autre compagnie que celle des enfants.
    Des larmes montèrent encore aux yeux de sa compagne.
    â€” Même les jours de congé, tu ne rejoins personne. Tu n’as pas vraiment

Weitere Kostenlose Bücher