La mort bleue
nâautoriser quâune seule personne à entrer dans la chambre, pour lui porter ses repas et lui donner des soins. Toujours la même.
â Je peux mâen occuper, proposa Jeanne dâune voix empressée.
Elle se tenait derrière le médecin, une proximité un peu agaçante, soucieuse de ne perdre aucune de ses paroles.
â Voyons, ma petite, votre geste est généreux, mais câest le rôle de sa mère, protesta la vieille femme.
â ⦠Il est trop lourd pour vous.
Lâargument parut implacable au médecin. Il se tourna à demi vers elle pour lâenglober dorénavant dans la conversation :
â Vous porterez un masque et des gants. Vous devrez vous laver soigneusement les mains, avant dâentrer dans la chambre et tout de suite en sortant de celle-ci⦠et le plus souvent possible au cours de la journée. Nâoubliez surtout pas de nettoyer vos vêtements dans lâeau très chaude. Même chose avec ses vêtements à lui, ses draps, sa vaisselle.
Le ton gagna un peu de sévérité quand il sâadressa ensuite aux parents :
â Tout cela vaut aussi pour vous.
Le vieux couple donna son accord dâun mouvement de tête.
â Tout de même, abstenez-vous de pénétrer dans la chambre, de toucher ce quâil a touché. Vous ne lâaiderez en rien en contractant la maladie à votre tour.
Un moment plus tard, le médecin descendit lâescalier sans escorte. Au moment où il sâapprêtait à sortir de la maison, ce fut au tour dâEugénie dâapparaître devant ses yeux.
â Mademoiselle⦠Je mâexcuse, madame Dupire, câest lâhabitude. Je suis heureux de vous revoir.
Pendant des années, au moment où elle prétendait encore au titre de meilleure amie dâÃlise, il lâavait reçue à sa table avec une belle régularité.
â Moi aussi, docteur Caron, je suis heureuse de vous voir, répondit-elle en tendant la main. Toutefois, votre présence ici ne doit pas annoncer une bonne nouvelle.
Le sourire sâestompa bien vite du visage de son interlocuteur.
â Vous avez raison, jâen ai peur. Votre époux a contracté la grippe. Je suis désolé.
Comme tous les hommes de son métier, il savait adopter le ton de contrition nécessaire à ce genre de situation. Sur un dernier salut de la tête, il sâesquiva.
Eugénie monta à lâétage à son tour pour se trouver au beau milieu dâun conciliabule tenu dans le couloir, devant la porte de la chambre de son mari.
â Il est malade, commenta la mère.
â Je sais, le médecin vient de mâexpliquer.
â Jeanne a accepté de sâoccuper de lui.
La jeune femme reconnut la présence de la domestique en maugréant :
â Te revoilà enfin. Jâespère que tu as bien profité de ce congé.
â Câétait des funérailles!
Eugénie demeura un moment interdite par le ton de la réplique, puis elle enchaîna :
â Câest contagieux. Je vais prendre mes repas dans ma chambre, pendant les prochains jours. Si Jeanne sâoccupe de lui, je ne veux pas quâelle touche à mon assiette.
Elle venait de se mettre elle-même en quarantaine. Sans témoigner de la moindre intention de se rendre dans la chambre de son mari, elle sâenferma dans son petit salon, laissant ses interlocuteurs interdits.
* * *
Depuis le début de septembre, une fois par semaine, Gérard avait retrouvé Françoise sur le trottoir devant la boutique ALFRED. La jeune femme arrivait à se dégager du sentiment de culpabilité où la mettait sa situation. Même le regard de Marie, au moment de revenir à lâappartement en soirée, nâentraînait plus la vague honte des débuts.
Toutefois, elle nâen était pas encore à demander à son cavalier de monter, au moment de venir la chercher. Il est vrai que le faire passer par lâescalier de service aurait été un peu incongru⦠et Françoise se doutait quâau moment de le faire entrer dans la cuisine, Gertrude lui aurait réservé un accueil glacial. Quant à le faire passer à travers le commerce après la fermeture de celui-ci, cela se révélait impossible.
Le dimanche 6 octobre, afin de se délier un peu les jambes, la jeune femme avait
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