La mort bleue

Je m’en veux tellement. Vous avez attrapé cette maladie en venant avec moi à Saint-Jean.
    â€” Cela, personne ne pourra jamais en être certain, rétorqua-t-il dans un souffle.
    â€” Mais cet hôpital…
    La jeune femme s’interrompit au moment de défaire les boutons de sa veste de pyjama. Une pellicule de sueur couvrait la large poitrine. Elle récupéra la serviette de toile mise à tremper dans un grand plat de porcelaine placé sur le chevet, parcouru le sein droit de son employeur, descendit jusqu’au ventre. Elle replongea le tissu dans l’eau, l’essora un peu avant de répéter les mêmes gestes sur le côté gauche.
    Fernand ferma les yeux, se laissa emporter par la douceur de la caresse. L’intimité de la situation le troublait plus que de raison. Malgré le masque couvrant la moitié de son visage, la domestique demeurait séduisante, sanglée dans son uniforme noir. Après la poitrine, elle s’occupa de son ventre, s’approchant dangereusement de la ceinture du pantalon de fin coton.
    Malgré la fièvre, sa timidité naturelle, la toux creuse qui le pliait en deux toutes les cinq minutes, l’homme rougit en sentant son sexe gonfler, pousser sur le vêtement léger. Jeanne ne pouvait ignorer son état. Dans toute autre circonstance, avec toute autre femme, la honte l’aurait étranglé. Mais savoir que de nombreuses personnes dans sa condition finissaient par mourir d’une pneumonie donnait à l’expérience une dimension nouvelle, lui inspirait un sentiment d’exquise urgence. Au lieu d’ignorer son érection, de feindre le sommeil, il choisit plutôt d’attirer l’attention sur elle en soufflant, les yeux toujours clos :
    â€” Je suis désolé. Je ne voulais pas.
    â€” Ce n’est rien… la nature. Et dans une certaine mesure, je me sens rassurée : cela indique que la maladie n’a pas le dessus sur vous.
    Fernand ouvrit les yeux pour les fixer dans ceux de sa domestique. Il constata, au coin de ceux-ci, la trace d’un sourire amusé. Cela, ou peut-être la fièvre, suffit à l’enhardir. Sa main droite quitta la surface du lit pour se poser sur la hanche toute proche, puis elle passa sur la fesse, ronde, agréablement ferme et molle tout à la fois. La contradiction apparente du constat l’amusa. La plus grande part du muscle logeait dans sa paume.
    â€” Je te remercie de prendre soin de moi ainsi. Je veux voir dans cette sollicitude bien plus que l’exercice du devoir, bien plus que de l’amitié aussi.
    Dans son état, cela représentait un long discours. Il se tourna à demi sur le côté afin de tousser, cherchant à réduire la douleur qui lui sciait chaque fois le bas des côtes. À ce moment, la tiédeur du linge humide, la douceur de la fesse, la demi-érection, tout cela quitta son esprit. Quand il reprit sa place sur le dos, tous les deux firent semblant que rien ne s’était passé. Pourtant, le souvenir de ce moment les hanterait tout le reste de la journée.
    Jeanne tira les couvertures sur le corps de son patron, demanda avec sollicitude :
    â€” Aimeriez-vous avoir d’autres oreillers?
    â€” Je respirerai peut-être mieux si ma poitrine est un peu soulevée.
    La jeune femme passa dans une petite pièce où l’on rangeait les draps et les couvertures, rapporta deux oreillers supplémentaires, les plaça de façon à permettre à Fernand d’être relevé à un angle de quarante-cinq degrés.
    Elle prit ensuite place sur la chaise placée près du lit et y demeura toute la matinée.
    * * *
    Moins d’une heure plus tard, un masque accroché derrière les oreilles, placé de façon à couvrir le nez, la bouche et même le menton, Thalie Picard quittait la pension Milton à son tour, un petit sac de toile à la main. Cela lui donnait une allure étrange, rappelant un peu celle des courtisanes du harem du Grand Turc. Les jours où la guerre n’apportait pas son lot habituel de faits héroïques et de descriptions d’hécatombe, les journaux titillaient la curiosité des lecteurs avec des illustrations de ce genre.
    Heureusement, sa veste et sa jupe bleu foncé rompaient bien vite l’illusion. À la fois à cause de la nécessité d’économiser le tissu et