La mort bleue
lâesprit. Le vieux couple Dupire préféra sortir de la maison pour attendre, debout sur le trottoir, lâarrivée du taxi devant le conduire à la messe. Eugénie et Fernand demeurèrent un instant immobiles lâun devant lâautre, à se dévisager, puis la jeune femme quitta les lieux à son tour.
* * *
Quand madame Dupire revint de la cathédrale avec son époux, elle monta péniblement les escaliers en se dandinant, sâaccrochant dâune main à la rampe de bois. Par la porte demeurée ouverte, elle aperçut son fils. Tout de suite, le spectacle suscita chez elle une vive inquiétude : sa respiration semblait oppressée, son visage brillait sous une mince pellicule de sueur.
â Tu ne vas pas mieux⦠au contraire.
La grosse dame se précipita vers le lit, posa son bras en travers de la poitrine de son fils.
â Non, pas vraiment. Je pense que je fais de la fièvre.
La main ridée se posa sur son front, constata que la peau devenait moite et tiède.
â Je vais tout de suite téléphoner au docteur Caron.
Fernand fixa les yeux sur elle, sans songer une seconde à protester. Le souvenir de lâhôpital militaire, à Saint-Jean, hantait son esprit. Malgré le masque et les gants, le mal sâétait emparé de lui. Ces protections lui paraissaient maintenant bien illusoires. Toutefois, la contagion pouvait lâavoir touché nâimporte où, par exemple dans le train, le tramway ou le taxi emprunté ce jour-là . Puis, il fallait toujours compter avec les rencontres dans les rues, les poignées de main que la civilité exigeait de lui.
Madame Dupire savait déléguer. Depuis le haut de lâescalier, elle cria à lâintention de son époux, demeuré au rez-de-chaussée :
â Appelle le médecin, câest la grippe.
Le vieil homme obtempéra sans discuter, cela dâautant plus quâil entendit son fils tousser violemment juste à ce moment. La femme revint dans la chambre, approcha une chaise du lit afin de le veiller. La quinte sâéteignit enfin, Fernand laissa tomber sa tête sur lâoreiller, le visage pâle, les yeux fiévreux.
â Jâai froid, souffla-t-il en essayant de tirer la couverture jusquâà son cou.
â Laisse-moi tâaider.
Une autre voix se fit entendre depuis le haut de lâescalier :
â Le docteur Caron ne se trouve pas à la maison. Selon sa femme, il a une assez longue tournée de malades à effectuer. Elle lui dira de passer ici au moment de son retour.
Le pas pesant du vieux notaire se fit entendre près de la porte de la chambre.
â Cela ne va pas mieux, fils?
â Il fait de la fièvre, répondit la mère à la place de son rejeton, une habitude vieille de trois décennies maintenant.
Lâhomme sâapprocha, posa à son tour sa paume sur le front fiévreux, afin de se faire sa propre idée. Lâexamen sommaire lui inspira une conclusion :
â Je redescends afin de téléphoner au jeune docteur Hamelin. Si celui-là ne peut pas venir tout de suite, je vais prendre le bottin et essayer avec toute la liste.
Au moment où il quittait la chambre, la mère expliqua :
â En revenant de lâéglise, nous avons déposé Eugénie chez ses parents, pour le repas bihebdomadaire. Souhaites-tu que je la joigne afin de lui demander de revenir?
â Pourquoi ne pas profiter un peu de son absence?
Une certaine ironie amusée marquait la voix du malade.
* * *
Lâinsistance du père nâavait servi à rien : la même surchage de travail accablait tous les médecins de la ville. Le docteur Caron sâengagea dans lâallée de gravier conduisant à la maison des Dupire, son petit sac de cuir à la main, au moment où Jeanne réglait le prix de sa course en taxi depuis la gare. La dépense pèserait sur ses ressources pendant tout le reste du mois, mais les trois jours dans la maison paternelle lâavait mise dans un état de lassitude profonde. Marcher lui avait semblé trop exigeant et les journaux ne décrivaient plus les tramways que comme des lieux de pestilence.
â Docteur, sâinforma-t-elle en sâengageant sur les talons du visiteur, quelquâun est malade? Pas un enfant?
â En quelque sorte oui, le plus vieux, Fernand. Ses parents mâont
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