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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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de son épuisement, les dernières offensives ennemies forçaient une certaine admiration pour la résilience de ce pays. Après une pause, l’homme continua :
    â€” Entends-tu toujours te joindre à eux demain?
    â€” Oui, pour la messe. Enfin, eux seront avec leur régiment, et moi quelque part dans les environs… Vous êtes toujours certain que je peux m’absenter jusqu’en après-midi?
    â€” Je t’ai déjà accordé ce congé, ne revenons pas là-dessus. Ma femme saura certainement s’occuper de ses enfants pendant ces quelques heures.
    Le ton trahissait son agacement. Eugénie accordait une attention distante à sa progéniture, comme si les soins quotidiens à lui prodiguer étaient indignes d’elle. Jeanne, de son côté, s’investissait dans ces tâches avec un entrain joyeux.
    â€” Vous savez, ses grossesses ne sont pas faciles, tempéra la domestique.
    Ã€ tout le moins, sa maîtresse entendait mettre tout le monde au courant des désagréments, petits et grands, liés à son état. Fernand reconnaissait d’emblée être un mauvais juge de la situation. Mais toutes les femmes donnaient naissance à des enfants et la plupart d’entre elles élevaient une nombreuse famille sans aide. Son épouse, placée dans des conditions idéales, paraissait trouver ce rôle plus lourd que la quasi totalité de ses semblables.
    Il avala les dernières gouttes de sa boisson avant de dire encore :
    â€” Mais je suis là à te retenir, alors que demain tu devras te lever très tôt. La messe aura lieu à l’aurore.
    â€” Je ne me lèverai pas vraiment plus tôt que d’habitude. Tout de même, vous avez raison, je ferais mieux de monter tout de suite.
    Elle quitta le canapé, tendit la main en enchaînant :
    â€” Donnez-moi votre verre, je vais m’en occuper.
    Leurs doigts se frôlèrent brièvement. Au début, ce contact les faisait se raidir de timidité, ils retiraient leur main bien vite. Maintenant, le bref instant était attendu, ils le prolongeaient même un peu.
    * * *
    Au moment où le jour commençait tout juste à blanchir le ciel, Jeanne Girard arriva devant le Manège militaire, une grande bâtisse de pierres grises, coiffée de tôles de cuivre devenues vertes au fil des ans. Depuis plusieurs décennies, des milliers de miliciens avaient appris à marcher au pas en ces lieux. Le déclenchement de la « Grande Guerre », en 1914, avait au moins centuplé le nombre de ces jeunes hommes.
    Depuis la veille, les nouveaux soldats bénéficiaient d’un congé afin de se présenter devant des confesseurs pour se mettre en règle avec leur Créateur. Quatre prêtres, dont l’abbé Émile Buteau, curé de la paroisse Saint-Roch, s’étaient tenus à leur disposition pour les confesser. Dès cinq heures trente, les conscrits, au nombre de plusieurs centaines, formaient les rangs, se tenaient au garde-à-vous sur les pelouses devant l’édifice.
    La domestique, comme des centaines de spectateurs venus accompagner des proches pour cette cérémonie, reconnut les membres de sa famille, Arthur et Henri, des colosses que l’uniforme avantageait. Elle les trouva plus beaux que dans leurs habits du dimanche de mauvaise coupe.
    Devant la porte centrale du Manège militaire, des ouvriers avaient érigé un autel fort convenable. Des banderoles blanches et jaunes rappelaient le Vatican et les Carillon-Sacré-Cœur, la nation canadienne-française. Les Union Jack , très nombreux, paraissaient tout de même fort incongrus pour une messe catholique. Les tricolores de la France républicaine le demeuraient tout autant.
    Ã€ six heures trente, un jésuite, le révérend père Hudon, commença la célébration de la messe à l’intention de ces nouveaux militaires, pour la plupart enrôlés de force. Ils étaient près d’un millier d’hommes aux visages fermés, incrédules parfois à l’égard de leur sort, que les meules de l’Histoire, sur lesquelles ils ne possédaient aucune maîtrise, risquaient de broyer. Dans ces circonstances, trouver les mots justes au moment du sermon relevait du défi. Le célébrant s’y essaya pourtant :
    â€” Presque tous, vous vous êtes

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