La mort bleue
bien.
Le ton de la jeune femme tenait de lâinjonction.
â Au moment de mon retrait vers lâarrière, il nâavait même pas encore subi une égratignure. Une chance de cocu.
Ses yeux allèrent vers Françoise. La petite main se serra encore sur son poignet, glissa vers la blessure.
â Mais un mois en Belgique, câest une éternité. Après, je ne sais pas.
â Jamais tu nâas entendu quâun malheur était arrivé?
â Ni quâaucun malheur ne sâétait produit. Ils ne font pas la liste des personnes demeurées indemnes pour nous la lire à lâhôpital.
Cette fois, les doigts gantés se trouvaient directement sur la blessure et exerçaient une légère pression.
â Je suppose que si le courageux capitaine Picard avait reçu une balle, la nouvelle se serait rendue jusquâà mes oreilles.
Thalie plongea ses yeux dans ceux de Françoise, comme pour lui intimer de considérer cette information comme satisfaisante. Sa compagne ne demandait quâà sâen convaincre. La petite brune se redressa au moment où des infirmiers sâapprochaient, déclara encore :
â Maintenant, laissons le brave soldat Pelletier prendre place dans son ambulance. Notre héros doit languir de se trouver enfin dans un bon lit.
La dérision dans la voix amena un sourire sur le visage des deux nouveaux venus. Les blessures à la main droite demeuraient suspectes. Des militaires se les infligeaient parfois eux-mêmes afin de quitter la ligne de feu. Thalie venait méchamment de semer un doute dans leur esprit.
* * *
â Flavie, Louis nâa pas téléphoné, au cours de lâaprès-midi?
La jeune femme leva les yeux de la feuille de papier où se trouvaient ses notes, arrêta ses doigts au-dessus de la machine à écrire avant de répondre :
â Vous savez bien que je vous mets en communication avec tous les correspondants ou alors je prends le message si vous êtes absent.
â Oui⦠oui bien sûr. Mais vous auriez pu oublier.
Le sourire de la secrétaire lui signifia quâil était bien peu probable quâelle commette une erreur de cette nature.
â Il devait mâappeler, car nous comptons aller ensemble au Club de réforme.
De jeunes militants animaient ce nouveau club, voué à rénover le vieux Parti libéral. En dâautres mots, une nouvelle génération entendait remplacer bientôt les politiciens de la « vieille école », celle de Laurier et même de Gouin. Tout en sâéloignant dâArmand Lavergne, Ãdouard se rapprochait de ces ambitieux un peu turbulents, convaincu lui aussi de la nécessité dâun changement de garde.
â Jâessaie de le joindre sans succès depuis quelques minutes. Le téléphone du magasin de musique se trouve peut-être en dérangement.
â Avec la grippe, il semble que le central téléphonique de Bell soit déserté par ses employées. Enfin, jâai lu cela dans le journal.
â Dans ce cas, je vais aller le rejoindre.
Il se dirigea vers la patère afin de prendre son feutre, puis lui lança encore avant de partir :
â Ne travaillez pas trop tard.
â Je termine ceci et je mâen vais. Bonne soirée, monsieur Picard.
â Bonne soirée, Flavie.
Le jeune patron appréciait toutes les qualités de sa nouvelle secrétaire. Par-dessus tout, il lui était particulièrement reconnaissant de ne jamais lui donner du « monsieur Ãdouard ». Elle ne le faisait quâen présence du propriétaire des lieux et toujours en le regardant avec lâair de dire « désolé ».
Dans la rue Saint-Joseph, il accéléra le pas afin de ne pas être en retard à son rendez-vous.
â Peut-être est-il parti sans moi, maugréa-t-il.
Pourtant, ce matin, il avait laissé sa voiture tout près du commerce dâinstruments de musique afin de faciliter leur départ à tous les deux.
Il arrivait à destination quand il aperçut une voiture taxi juste devant la porte de lâétablissement de son collègue. Un commis aidait le colosse à y monter. Le nouveau venu accéléra le pas, sans réussir à battre le véhicule de vitesse. Le chauffeur appuya bientôt sur lâaccélérateur pour sâéloigner dans un nuage de
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