La mort bleue
le docteur Paquin.
Debout lui aussi, il pointait un doigt accusateur vers son adversaire.
â Une seule de ces saintes femmes est décédée⦠continua-t-il sur le même ton.
Le médecin hygiéniste faisait lâobjet de conversations peu charitables, où le mot « incompétence » revenait souvent. Sa lenteur à réagir paraissait suspecte.
â Vous avez raison, Ã ce jour, une seule de ces religieuses est morte. Ã vingt ans tout juste. Vous pouvez mâassurer que cette vilaine grippe ne fera plus aucune victime dans notre ville?
Un ricanement mauvais força Paquin à se rasseoir.
â Quâavez-vous en tête? demanda le maire.
â Ailleurs, on a créé des hôpitaux de fortune pour recevoir les malades. Ma femme revient de Sherbrookeâ¦
Tout le monde connaissait la situation dans cette ville, les journaux détaillaient les initiatives de ce genre avec des commentaires positifs.
â Mais le problème de personnel se posera encore, précisa le maire. Si les hospitalières ferment un établissement, elles ne peuvent pas en faire fonctionner un autre.
â Nous pouvons faire appel à des volontaires dans la population, commenta quelquâun en anglais. Seulement chez les femmes et les filles des personnes présentes ici, nous trouverons un effectif suffisant.
Autant la pratique de la médecine semblait revenir aux hommes, autant le soin quotidien des malades demeurait lâapanage exclusif du sexe faible. Les qualités dâune bonne mère ressemblaient fort à celles dâune infirmière. Changer des couches et manipuler les bassines ou les urinoirs requéraient des habiletés bien semblables.
â Nous allons allouer un budget de mille dollars afin dâacheter le matériel nécessaire au fonctionnement dâun ou de plusieurs centres de soins, consentit le magistrat. Je compte sur vous, messieurs les médecins, pour y offrir des soins, et sur lâensemble de la population de la ville pour les faire fonctionner.
Le budget paraissait dérisoire. Hamelin reprit toutefois son siège en affichant un sourire de satisfaction. Enfin, après des jours passés à semer lâalerte, tout le monde paraissait dâaccord sur la nécessité de faire face à lâennemi.
* * *
Tout de suite après son lever, Thalie descendit au rez-de-chaussée, entrouvrit la porte du commerce pour crier au camelot se tenant sur le parvis de la cathédrale :
â Veux-tu mâapporter le journal?
â Je ne fais pas de livraison à domicile, répondit le garçon dâun ton frondeur. Viens le chercher.
â Je suis encore en robe de nuit.
â Raison de plus pour venir vers moi.
Des passants se tournèrent vers elle. En serrant la main sur son peignoir pour demeurer bien décente, elle insista :
â Cesse de faire ton drôle.
Le gamin courut vers elle en tendant une copie du quotidien, délaissant un moment sa clientèle de gens pressés de se rendre au travail. Un pourboire le récompensa de son geste.
Un moment plus tard, elle dépliait Le Soleil et entreprenait de commenter les nouvelles pour sa mère et Françoise, occupées à déjeuner.
â Les écoles et tous les lieux de divertissement sont fermés à compter de ce matin.
â Cela ne changera pas grand-chose pour nous. Voilà bien un mois que je ne suis pas allée dans un théâtre, commenta son amie.
â Nous menons une vie de recluses, ricana Marie.
â Paul devient-il très casanier et passe-t-il ses dimanches dans un fauteuil de notre petit salon?
Thalie prononça ces mots en adressant un gros clin dâÅil à sa mère.
â Nous arrivons tout de même à le faire bouger un peu.
La remarque pouvait sâentendre de bien des façons. Françoise rougit un peu de lâimage qui se présenta à son esprit.
â Si ces premières mesures ne changent rien à votre existence, continua la jeune fille, en voilà une qui vous intéressera beaucoup : les magasins de la ville devront fermer à quatre heures. As-tu pensé à ce que je te disais hier?
Elle faisait référence à lâinutilité de maintenir la boutique ouverte.
â Je dirai aux vendeuses de rentrer chez elles à midi. La matinée nous donnera le temps de mettre un peu dâordre dans le magasin. Par
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