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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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la suite, nous suffirons à la tâche.
    Marie marqua une pause avant de demander, soudainement incertaine :
    â€” Tu voudras bien nous aider? Je veux dire en attendant la reprise des cours à l’Université McGill, bien sûr.
    â€” Je ne sais pas. Pas aujourd’hui, en tout cas.
    Devant la déception de sa mère, elle précisa :
    â€” Ne le savais-tu pas? Un navire hôpital doit arriver à Québec aujourd’hui. Il transporte des blessés et des malades du 22 e bataillon. J’aimerais aller assister à son accostage. J’apprendrai peut-être quelque chose.
    â€” … Si Mathieu se trouvait à bord, nous le saurions. L’armée nous aurait certainement donné l’information.
    â€” Tu as sans doute raison, mais je vais tout de même y aller. Je demanderai aux hommes de son unité s’ils le connaissent.
    Cette initiative ne rapporterait sans doute rien. Marie ne pouvait tout de même pas empêcher sa fille de tenter sa chance. Surtout, Françoise demanda bien vite :
    â€” Je peux y aller aussi?
    Les grands yeux gris posés sur elle contenaient une prière. Une seule réponse demeurait possible :
    â€” Oui, bien sûr. Je garderai les vendeuses avec moi toute la journée.
    Thalie continuait de parcourir Le Soleil sans se soucier de l’assiette devant elle. Gertrude remarqua, en prenant place à son tour à table :
    â€” Tu devrais manger un peu.
    â€” Oui, oui. Je vérifie la liste des blessés originaires de Québec qui se trouvent à bord. Je trouverai peut-être le nom d’un garçon de son âge, susceptible de bien le connaître.
    Pourtant, elle n’arrivait pas vraiment à fixer son attention sur les patronymes tellement une autre information occupait son esprit. Les dernières lignes de la page précédente disaient: « Toutes les personnes souhaitant se rendre utiles sont invitées à offrir leur aide au Service municipal d’hygiène. Les centres de soins sauront utiliser toutes les bonnes volontés. »
    * * *
    Les informations du Soleil s’étaient montrées exactes. Après une escale à Halifax afin de débarquer quelques dizaines de blessés ou de malades, le Hibernia jeta les amarres près du quai, sous l’imposante falaise du cap Diamant, un peu après une heure de l’après-midi. Parmi des dizaines de proches des soldats rapatriés et un nombre au moins égal de curieux, Thalie et Françoise examinèrent la manœuvre. Une passerelle fut bientôt placée contre le flanc de fer du navire hôpital. Des soldats en uniforme empêchèrent quiconque de monter à bord.
    Parmi tous les autres, les deux amies patientèrent pendant une heure, bras dessus, bras dessous. Puis une agitation se produisit sur le pont du navire, se répercuta dans la foule. De robustes infirmiers s’engagèrent sur la passerelle, tenant une civière entre eux. Au moment où ils mettaient les pieds sur le quai, une voix éraillée laissa échapper un « Lucien » sonore.
    Thalie se tourna pour voir une femme dans la quarantaine s’effondrer à demi, ses genoux se dérobant sous elle. Heureusement, un homme la soutint avant qu’elle ne s’affale sur le ciment.
    â€” Moi aussi, confia Françoise, je crois qu’à la vue de Mathieu sous mes yeux, je tomberais dans les pommes. Je ne l’ai pas vu depuis des mois.
    Sa compagne accueillit la confidence par un sourire plein de compassion.
    â€” Toi, tu n’es pas le genre à t’évanouir, ajouta-t-elle.
    Le ton trahissait un mélange de déception et de gêne. Françoise éprouvait toujours un peu de honte face aux émotions intenses qui la privaient régulièrement de ses moyens. Même si ses joues tournaient bien moins souvent au cramoisi qu’à l’époque où elle se trouvait au couvent, elle enviait l’assurance de la jeune fille pendue à son bras.
    â€” Je ne pense pas être à l’abri de ce genre de réaction, répondit Thalie.
    L’aveu sonnait faux. Sous leurs yeux, une procession ininterrompue de civières se poursuivait, donnant lieu la plupart du temps à des retrouvailles émues. Celles-ci demeuraient toutefois de courte durée, des ambulances se succédaient afin de conduire les blessés vers l’hôpital militaire. Ce

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